FAYL-BILLOT AU COURS
DES SIECLES
LE VANNIER DANS SON
CADRE FAMILIAL
Rares sont les documents qui pourraient nous permettre
d'évoquer, avec assurance, la vie des vanniers du Fayl et des pays d'alentour, au
XVIIème et au XVIIIéme siècle. Nous imaginons qu'elle devait être comparable à
celle des paysans et des petits artisans.
Les
registres paroissiaux du « Fayl » nous apprennent l'existence, en permanence,
d'une vingtaine de vanniers au début du XVIIIéme siècle, et d'une quarantaine
au moment de la Révolution de 1789. Qu'elle pouvait être la situation
matérielle de ces vanniers ? Bien inégale sans doute ? Les conditions de vie
devaient être assez différentes entre les plus pauvres qui ne possédaient rien et
ne vivaient que du maigre revenu de leur travail, et ceux qui étaient
propriétaires d'une maison, d'une « saussaie » et d'un lopin de terre.
Si l'on se réfère aux états de sections
de :recensement de toutes les propriétés, bâties et non bâties, en vue de l'établissement
d'une contribution foncière, peu de vanniers possédaient une maison à cette
date; sur 53 contribuables ayant une «
saussaie « , la moitié seulement étaient des vanniers dont trois
cultivaient plus de 50 ares de « saule « . On peut donc supposer que
dans l'ensemble, à part quelques cas particuliers, l'état de vannier était
assez précaire, comparable à celui du manouvrier, du tisserand et du tourneur
sur bois.
En 1836, lors de l'établissement du cadastre de FayI-Billot,
la proportion de vanniers propriétaires d'une
« saussaie « était sensiblement la même qu'en 1791 (38
vanniers sur 65 osiériculteurs), mais la superficie moyenne de l'oseraie
familiale s'était agrandie: de 26 ares elle était passée à 36 ares; huit
vanniers-osiériculteurs cultivaient plus de 50 ares de « saule ». Le sort des
vanniers semble s'être amélioré, en général, à partir du milieu du XIXème
siècle; mais c'est véritablement dans le dernier quart de ce siècle et au début
du XXème, jusqu'à la fin des années 1920, que l'on peut situer la grande
période de croissance de la vannerie haut-marnaise et, avec elle, une élévation
notable du niveau de vie des vanniers et des osiériculteurs.
Beaucoup de familles parvinrent à sortir de leur condition
précaire par le travail et l'épargne et souvent en adjoignant à leurs tâches
principales une petite activité agricole d'appoint (potager, verger, petit
élevage) qui leur permettait de réduire, dans la mesure du possible, les
dépenses alimentaires.
A cette époque l'unité familiale reposait sur des valeurs
prédominantes, dans le monde rural surtout: le travail, l'ordre, l'épargne et
le respect de la propriété. On n'était pas envieux, pas jaloux; on cherchait
simplement à vivre honnêtement du fruit de son travail et à acquérir une
certaine sécurité matérielle. On ne voulait pas avoir recours aux aides
publiques, ce qui était considéré comme un déshonneur, une humiliation.
La
famille vannière.
La famille constitue l'unité de base des
sociétés organisées. Cette unité est généralement consacrée par le mariage, un
acte officiel, un engagement pris dans le respect de certaines règles (lois),
de rites et de traditions qui remontent parfois à des temps très anciens:
mariage civil, mariage religieux. Les actes de mariage sont de précieuses
sources de renseignements qui permettent d'établir avec précision les
filiations.
Les
vanniers et le mariage. Origines sociales et de lieux des époux.
Jadis, les alliances se faisaient le plus
souvent entre familles de même milieu professionnel ou de conditions sociales
comparables. C'est ainsi que se formaient des parentés entre familles
vannières, ou entre familles de vanniers et familles de tisserands, de
tourneurs-chaisiers, de petits artisans, de manouvriers, de petits
cultivateurs, etc. Cette règle ne présentait que de rares exceptions. Les
unions entre jeunes gens habitant le même village, ou des villages voisins,
étaient courantes.
Autrefois, avant l'apparition de la
bicyclette, appareil de locomotion des classes populaires (fin XIXème et début
XXéme siècle), on ne se déplaçait qu'à pied ou en voiture à cheval; mais tout
le monde n'en possédait pas. Les sorties tournaient donc autour du lieu de
résidence dans un rayon qui n'excédait pas quelques lieues; on n'avait recours
au chemin de fer (XIXème siècle) que pour les déplacements exceptionnels.
Les foires locales comptaient parmi les
grands événements de l'année; on s'y rendait comme à une fête, sûr d'y
retrouver quelques parents, amis et connaissances. Les fêtes patronales, les
mariages, les grandes réunions familiales, étaient les principales occasions de
rencontre à la faveur desquelles se nouaient des idylles et prenaient naissance
des engagements sérieux. Au bout d'un temps de fréquentation, parfois assez
long, venaient le jour des fiançailles, la promesse de mariage entre les futurs
époux, assortie de la « bénédiction » des parents; puis enfin, c'étaient les
épousailles.
Pour la célébration du mariage on se rendait en cortège à la mairie
et à l'église. La noce durait deux jours, parfois trois, pendant lesquels on
dansait, on festoyait dans la limite de ses moyens car les vanniers n'étaient
pas des Crésus. En ces jours de liesse, quelques vieilles traditions, pas
toujours agréables, étaient imposées aux nouveaux mariés; ils devaient les
observer de bonne grâce sous peine d'être chahutés.
Les
enfants.
Aux
siècles passés on comptait, en moyenne, trois enfants (vivants) par ménage. A
une forte natalité s'opposait un taux de mortalité infantile très élevé; les
causes de décès étaient multiples: insuffisance d'hygiène,
malnutrition, sous alimentation à certaines époques, promiscuité, pollution de
l'eau, maladies épidémiques, accidents, carence des structures médicales, etc.
En
Haute-Marne, le taux de mortalité des enfants âgés de moins d'un an s'élevait à
25% au XVIIIème siècle, à 20% au XIXème et à 10% au début du XXème. Une seconde
pointe de mortalité se manifestait aux âges de six à neuf ans et une troisième
entre vingt et vingt cinq ans. A la naissance, l'espérance de vie de l'ensemble
de la population (hommes et femmes) était de 33% au début du XIXème siècle, de
50% à la fin du XIXème et de 55% au début du XXème. « La mort et les hommes en
Haute-Marne au XIXème siècle ». La morbidité de 1780 à 1914. Jean-Louis MAIGROT
- 1987.
Après
une enfance et une adolescence passées sous l'autorité des parents qui
inculquaient les bons principes, rappelaient certains préceptes de la morale et
s'attachaient à éveiller l'amour du travail, venait l'âge adulte et le temps de
fonder un foyer.
Le
nouveau couple, désireux de former le noyau d'une cellule familiale, se mettait
en quête d'une maison pour s'y installer et obtenir ainsi son autonomie
(famille nucléaire). Si cette possibilité ne lui était pas offerte il vivait
alors chez les parents sous le même toit. C'était alors la famille étendue et
le régime patriarcal (le père est le chef de famille). Cette vie communautaire
familiale présentait certains avantages mais aussi des inconvénients. Le gendre
devait accepter l'autorité de sa belle famille. Souvent il épousait le métier
de son beau-père et l'on voyait un tisserand, un tourneur, un manouvrier
devenir un vannier; une nouvelle famille venait grossir la communauté vannière.
La jeune épouse qui vivait chez ses beaux-parents participait à tous les
travaux de la maison. Le couple y perdait en indépendance et en initiative; en
revanche, il bénéficiait d'une certaine sécurité matérielle. difficile à
obtenir au cours des premières années de mariage: aide et assistance lors des
naissances et de la maladie, éventuellement d'un accident ou d'un décès.
Fréquemment, la benjamine d'une famille demeurait, avec son époux, auprès de
ses parents; le couple devenait avec le temps, leur soutien, leur « bâton de vieillesse ». (la benjamine:
lai queulcutte en patois).
Les
activités familiales.
Au XIXéme siècle, et jusqu'au milieu du XXème, la besogne ne
manque pas au foyer du vannier. Il y a d'abord tous les travaux inhérents au métier
de vannier-osiériculteur puis, en plus, les tâches domestiques intérieures
(entretien de la maison) et extérieures (activités agricoles). Tous les membres
de la famille sont mis à contribution, chacun ayant son travail à accomplir
dans la mesure de ses compétences et de ses forces. La solidarité familiale
joue en toutes circonstances et elle est enseignée très tôt aux enfants.
Le
père doit pourvoir à la subsistance de sa famille; il en est le chef, le
protecteur. Conscient de ses responsabilités, il veille, avec son épouse, à
l'éducation des enfants. Il accomplit les travaux les plus durs physiquement,
que ce soit à la maison, à l'oseraie, au jardin et aux champs. Au XIXème
siècte, et encore au début du XXème, la vie à la campagne est guidée par la course
du soleil.
Le
vannier se lève tôt, souvent vers les quatre heures du matin en été. Le travail
de la matinée est interrompu vers huit
heures, le temps de prendre une petite collation. Vers dix-sept heures ou dix-
huit heures, le vannier quitte son atelier et s'adonne à quelques travaux de
jardinage ou d'entretien de la maison. On « soupe » en général vers dix-neuf
heures en été, parfois vers vingt heures, plus tôt en hiver, et on se couche de
bonne heure. De temps en temps, à certaines occasions, on organise des veillées
en famille ou avec des voisins. Certaines journées sont consacrées aux travaux
champêtres et à d'autres besognes domestiques, comme couper et fabriquer du
bois, faire du cidre ou de la « piquette », nettoyer la soue à cochon, la clapier
et le poulailler, éventuellement l'étable si l'on possède une vache, etc.
L'épouse
a aussi ses occupations. A elle revient les tâches ménagères, la préparation
des repas, la lessive, le repassage, la couture (1), le nettoyage et le
rangement de la maison. Elle soigne les animaux, porc, volailles, lapins. Bien
souvent elle a la responsabilité de la gestion du ménage et tient, dans ce cas,
les « cordons de la bourse ».
A
ces nombreuses tâches quotidiennes s'ajoutent, selon les saisons, le jardinage,
la récolte des fruits et des légumes (souvent faite en famille à l'automne), la
préparation des conserves, des confitures, etc. Elle assiste son mari dans tes
travaux osiéricoles, sarclages, binages, coupe de l'osier, épluchage,
décorticage. Certaines font de la vannerie durant l'hiver.
Les
enfants prennent part aux tâches domestiques. Ils sont initiés à la culture et
au travail de l'osier. (2) Très tôt au printemps, ils quittent l'école pour
aider leurs parents à « décortiquer la saule ».
Les
grands parents participent aussi aux activités de la maisonnée. Ils rendent
divers petits services qui exigent souvent plus de patience que d'efforts
physiques.
(1)
Toute bonne ménagère doit savoir coudre et repriser. Ces connaissances
pratiques se transmettent de mère en fille. Elles sont enseignées à l'école
avec la broderie. La jeune fille est tenue de confectionner son « trousseau »,
habits, linge, parures, qu'elle emporte quand elle se marie.
(2)
Aux enfants on confie le triage des « saules », le tressage de quelques fonds
de paniers et l'achèvement de « clôtures » ébauchées sur la « sellette » par le
père.
La maison du vannier.
Elle est plus ou moins grande et
confortable et correspond, en générai, à la situation de fortune de ses
occupants. Beaucoup de maisons anciennes habitées par des vanniers,
propriétaires ou locataires, n'ont pas été conçues et construites spécialement
à leur usage. Certaines ont été réaménagées plusieurs fois pour des raisons
professionnelles et de commodité personnelle. Les maisons des vanniers ont donc
des structures différentes. On distingue:
1
- La petite maison, genre chaumière, ancienne habitation du rurale pauvre:
journalier, ouvrier, domestique, etc. Elle date du XVIIIème siècle ou du début
du XIXéme.
2
- La maison du petit cultivateur, du manouvrier (XVIIIème et XIXéme siècle).
3
- La maison « type » du vannier, construite à son usage au XIXéme siècle.
- La première maison ne comporte
généralement que deux pièces au rez-de-chaussée. La porte d'entrée s'ouvre sur
la pièce commune qui est assez grande pour tenir lieu de cuisine et de séjour
et souvent de chambre aux parents quand elle est pourvue d'une alcôve. C'est
dans cette pièce que travaille le vannier; le sol est de terre battue. La
seconde pièce, contiguë à la salle commune, sert de chambre aux enfants; on
l'utilise occasionnellement comme pièce « d'accueil » les jours de fête. Le
grenier s'étend sur les deux pièces; on y range la récolte d'osier. Cette
petite maison est souvent munie d'une cave ou d'un cellier. Des appentis,
construits derrière l'habitation, font office de remise; on y entrepose du
matériel, l'outillage, le bois de chauffage. Ils servent aussi d'abri à la soue
à cochon, au poulailler et au clapier.
- La seconde maison, celle du petit cultivateur,
du manouvrier, est plus spacieuse que la précédente. Elle est divisée en deux
parties: un corps de logis et un corps de bâtiment d'exploitation. Le corps de
logis comprend deux pièces au rez-de-chaussée. D'abord une salle commune
(cuisine et séjour) ouverte sur la façade (porte d'entrée et fenêtre); le sol
est de terre battue ou dallé de pierre. En prolongement se trouve la pièce de «
réception » que l’on appelle )e « poêle
», avec vue sur la cour intérieure et le jardin. Cette pièce a un sol en
plancher: le vannier en a fait son atelier. A l'étage on trouve une ou deux
chambres avec accès au grenier. Le corps de bâtiment à usage agricole est
contigu au corps de logis, il en est séparé par un mur de refend qui s'élève
jusqu'à la toiture (coupe-feu). C'était jadis la grange avec au fond, ou sur le
côté, la petite écurie-étable et au-dessus le fenil et le grenier à grains. Ce
corps de bâtiment sert de remise, de bûcher et de grenier à osier. Il abrite
aussi le petit élevage.
- Le troisième type d'habitation date en
général de la seconde moitié du XIXéme siècle. Sa conception répondait, en
principe, aux nécessités de la vie professionnelle et familiale du
vannier-osiériculteur d'autrefois. La distribution de cette maison présente
plusieurs variantes; le plus souvent elle est divisée en deux parties, dans le
sens de la profondeur, par un mur de refend qui s'élève parfois jusqu'à la
toiture. L'une des deux parties constitue le corps de logis, l'autre est une
annexe utilisée pour les activités osiéricoles et horticoles, le rangement du
bois, du matériel, etc. (bûcher et remise). Au dessus de ces locaux du
rez-de-chaussée se trouve le grenier à osier avec son ouverture extérieure
aménagée au niveau du plancher pour faciliter le passage des bottes lors de l'emmagasinage
de la récolte et éventuellement le rangement du bois de chauffage.
Poulailler, clapier et soue à cochon,
sont couramment installés sous un appentis.
La partie logis comprend deux pièces au rez-de-chaussée. La
première, située sur le devant de la maison, est la salle commune (cuisine et
séjour); le sol est dallé de pierre ou de brique. Dans le prolongement de cette
pièce se trouve l'atelier du vannier avec son sol en plancher. A l'étage sont
aménagées deux chambres.
Une autre maison de vannier, de conception un peu
différente, comprend deux pièces au rez-de-chaussée (salle commune et atelier)
et deux chambres à l'étage plus le grenier à osier. La salle commune occupe
tout le devant de la maison: la porte d'entrée est au centre de la façade, avec
de chaque côté une fenêtre. L'atelier est situé sur l’arrière, côté cour et
jardin; il est bien souvent contigu à un local de rangement (bois, outillage,
matériels).
Petite maison de vannier datant
vraisemblablement du XVIIème ou du XVIIIeme siècle. Elle a été démolie en 1992
lors des travaux d'assainissement de la rue Sainte-Anne.
Maison
de vannier-osiériculteur construite au XIXèmc siècle.
TYPE de MAISON de VANNIER - OSIERICULTEUR
(XIXémc
siécle)
Dans certaines maisons
datant de cette époque, la distribution du rez de chaussée est différente du
plan ci-dessus. Le « Poêle » est présent, il se trouve habituellement en
prolongement de la salle commune; l'atelier est sur le devant de la maison au
lieu et place du local osiéricole.
Presque toutes les maisons
sont pourvues d'une cave voûtée, à défaut d'un cellier. Dans certaines caves.
Il existe une petite citerne où sont recueillies les eaux d'infiltration.
Quelques maisons possèdent un puits dont !'eau est conduite jusqu'à l'évier
situé dans la pièce commune; sur cet évier est installée une pompe à bras. De
nombreuses fontaines, bien réparties dans le village, et quelques puits publies
assurent l'alimentation générale de la population en eau potable.
Les
maisons sont construites en pierre de grès du pays. Les murs sont crépis à
chaux et à sable. Les charpentes des toitures sont de chêne, mais les
couvertures sont de chaume au XVIIème siècle seules quelques maisons de maîtres
et les maisons bourgeoises ont une couverture de tuiles plates. Ces toitures de
chaume sont, de nombreuses fois, la cause de grandes catastrophes lors
d'incendies assez fréquents, en particulier en 1668 et en 1687. (voir
l'histoire de Fayl-Billot de l'Abbé Briffant). Ce genre de couverture sera
interdit à partir de 1863 (1). Au XVIIIeme siècles et au XIXème, les toitures
se font progressivement en tuiles plates rectangulaires ou à écaille, puis en
tuiles montées, dites tuiles mécaniques, de différents modèles. (A partir du
milieu du XIXéme siècle).
Le mobilier.
Comme la maison, il indique
le niveau d'aisance de la famille. Réduit à ressentie chez les gens pauvres, il
est plus important et plus confortable, sans être luxueux, chez les vanniers
plus favorisés par le sort. Bien souvent ce mobilier provient d'héritages ce
qui le rend plus précieux au regard de ses propriétaires. A la fin du XÎXème
siècle, chez un vannier bien installé, on peut inventorier un mobilier assez
complet et de bel aspect.
Dans la
salle commune on voit: une grande
table rectangulaire, ou ronde, avec autour des chaises paillées fabriquées au «
Fayl » ou dans les environs; parfois une maie; un buffet bas (bahut) ou un
vaisselier: une horloge (souvent un modèle comtois); un fourneau en fonte à
trois ou quatre trous placé devant la grande cheminée: quelquefois une alcôve,
ou à la place un escalier qui permet d'accéder à l'étage. Sur un côté sont des
placards et l'évier; ils garnissent tout un mur de la salle. Dans le placard à
évier sont rangés divers ustensiles de cuisine. La vaisselle est de faïence et
les couverts sont en fer étamé; ils étaient de bois et d'étain au XVIÏIème
siècle. Sur la tablette de la cheminée sont posés en évidence des chandeliers,
une lampe Pigeon, une lanterne et des allumettes. Au plafond est suspendue une
lampe à pétrole.
Le
mobilier des chambres situées à l'étage
comprend: un lit à « rouleaux « ou un lit « bateau « ; une armoire
ou une commode; une table de toilette et ses accessoires; parfois un guéridon.
Le linge de maison est en toile de chanvre ou de lin; il sera plus tard de
coton et de métis.
Les
pauvres gens couchent sur une « paillasse « souvent garnie de feuilles
sèches ou de fougères, tandis que les personnes fortunées ont des matelas de
laine et de crin. Couettes, édredons et oreillers sont bourrés de plumes ou de
duvet. Au XXème siècle, les couettes seront remplacées par des couvertures
piquées garnies de laine. Pour chauffer les lits, en hiver, on a recours à
divers ustensiles appropriés: le moine et sa chaufferette, la bassinoire et les
bouillottes.
Les meubles campagnards du
XVIIème et du XVIHème siècles s'affinent au XIXème sous les mains de menuisiers
ébénistes habiles. Certaines pièces, buffets, armoires, bahuts, coffres, lits
et tables sont de belle fabrication; faits de bois de chêne massif, d'orme, de
merisier, de noyer, de poirier, etc. ils ne manquent pas de charme et de
prestance. Ils sont couramment le reflet d'un croisement d'influences provenant
des quatre provinces qui avoisinent le sud-est de la Haute-Marne: la Champagne,
la Bourgogne, la Franche-Comté et la Lorraine. A travers eux se voient aussi
les empreintes des styles qui ont caractérisé différentes époques; Louis XIII.
Louis XIV, Louis XV, Restauration. Louis-Philippe, Second Empire. Ces meubles rustiques
de qualité sont très recherchés aujourd'hui par les antiquaires et les amateurs
de mobilier ancien.
(1) Règlement de police
de la commune de Fayl-Billot - 1863. Chapitre V. Incendies. Couvertures en
chaume.
« Article 75. Il est défendu de couvrir en chaume, pailles,
roseaux, bardeaux ou autres matières combustibles, les bâtiments d'habitation
ou d'exploitation dans l'étendue de la commune ».
N.B. Dans le « poêle » (quand il existe) on trouve
généralement une table et des sièges paillés, un lit de coin, une armoire et le
poêle à bois, indice de progrès dans le confort de la maison.
L'habillement.
Jusqu'à la fin du XIXéme siècle, et parfois
jusqu'au début du XXéme, les gens de la campagne, cultivateurs, manouvriers,
artisans, ouvriers, etc. manifestent une grande modestie dans leur tenue
vestimentaire. Ce comportement s'explique par !a médiocrité des ressources
pécuniaires et par une réserve prudente, instinctive, conditionnée par le
souvenir d'un passé austère, jalonné de dures épreuves durant des générations;
un passé ancré dans les mémoires malgré le temps qui s'écoule et une
amélioration des conditions de vie. Seules les femmes sont autorisées à
déployer un petit brin de coquetterie dans leur toilette du dimanche, sous
réserve que cela ne choque pas ta décence.
A travers les écrits et les
gravures du XVIIIème siècle et de la première moitié du XIXéme, il est
difficile de trouver des indications précises sur les vanniers, leur façon de
vivre et de s'habiller . Il semblerait que les vanniers n'aient jamais porté de
costumes bien particuliers. En ce qui concerne la fin du XIXéme siècle et le
début du XXème, nous disposons des témoignages recueillis naguère auprès des
anciens du pays et des environs et en plus d'une abondante documentation
photographique (cartes postales en particulier) qui nous donne de précieux
renseignements sur les vanniers.
Jusqu'à la fin du XIXéme siècle, les tissus ne sont
confectionnés qu'avec des fibres naturelles animale et végétales: laine, lin,
chanvre, coton (1) et soie. Certains de ces tissus permettent de fabriquer des
vêtements très résistants à l'usure.
Au milieu du XIXéme siècle, le vannier-osiériculteur est
vêtu d'un pantalon, d'un gilet, d'une veste ou d'une vareuse de « droguet », de
« tiretaine », de « serge » ou de toile, selon la saison. Ses sous-vêtements
sont de toile plus ou moins fine, ou de flanelle. Il est chaussé ordinairement
de sabots et porte des chaussettes de laine ou de fils. Les souliers de cuir,
qui valent très cher, ne s'associent généralement qu'au costume de cérémonie.
Le bonnet de travail (début du XIXéme siècle) est remplacé par la « casquette à
pont », très populaire. (2) Les jours de fête il arbore le gibus ou le chapeau
de feutre noir à larges bords. L'hiver il se protège du froid et de la pluie en
se couvrant d'une grande cape de droguet ou de drap. Pour travailler il met
autour du cou un foulard replié en pointe. La nuit il dort dans une chemise à
long « paineu » (pan de chemise ) et se coiffe d'un bonnet à pompon. Son
costume de mariage, un trois pièces de drap noir assorti d'une chemise blanche
et d'une cravate (modèles différents selon les époques), doit en principe durer
le plus longtemps possible, voire toute la vie. On ne le revêt qu'aux grandes
occasions, fêtes carillonnées et cérémonies de famille. Malheureusement ce
souhait de conservation ne se réalise pas toujours. Bien souvent le « vieux
marié » a pris de l'embonpoint au cours des ans et un beau jour il se trouve
boudiné dans son habit de jeune homme. Les retouches faites à la veste et au
pantalon ne parviennent plus à maintenir le costume dans la décence.
Il faut alors se rendre à l'évidence et acheter un nouvel habit qui redonnera à
« notre homme » une tenue respectable et le mettra, oh ! prodige ! à la mode du
jour, pour peu qu'il fasse aussi l'emplette d'une belle chemise et d'une
cravate dernier cri.
(1) Connu depuis
l'antiquité dans le bassin méditerranéen, le coton n'était utilisé qu'artisanalement
jusqu'à la fin du XVIIIème siècle. C'était une matière de luxe. Cependant, dans
la deuxième moitié de ce siècle, il existait déjà à Langres une filature de
coton qui employait plus de 600 fileurs et fileuses. Cette filature, la «
maison Jourdain « , s'adjoignit une usine de tissage puis, avant la
Révolution, une manufacture de « toiles peintes « . La Maison « Jourdain »
occupait plus de 2500 ouvriers. (Source: La Haute-Marne de Marcel Henriot et de
Paul Méjean).
(2) Casquette à pont:
casquette dont le fond est plus ou moins rehaussé par un large bandeau.
Les dimanches ordinaires et
les jours de « petites sorties » (foires, visites à des membres de la famille
et à des amis) le vannier endosse des habits neufs de travail. ceux que l'épouse
prévoyante tient en réserve dans une armoire. Les convenances exigent que l'on
se présente, en dehors du travail), dans une tenue propre et correcte. «
Pauvreté n'est pas vice « , dit-on ! Mais la négligence et la malpropreté,
vis à vis de ses semblables, sont de sérieux manquements aux règles du
savoir-vivre.
Dés la fin
du XIXème siècle, quelques vanniers, un peu plus aisés que les autres,
adopteront les vêtements de velours côtelé et la nouvelle casquette mise en
vogue par les adeptes de la bicyclette. Nombreux seront ceux qui
choisiront le célèbre « bleu de travail
« fabriqué par la « Maison Lafont » et vendu dans tous les bons magasins
de vêtements. Enfin, luxe suprême, les sabots seront remplacés le dimanche par
les « souliers à tige « lacés jusqu'au dessus des chevilles.
Jusqu'à
la fin du XIXème siècle les femmes, elles aussi, s'habillent très simplement.
Les sous-vêtements, les cotillons et les jupons sont de toile (chanvre, lin et
coton): les jupes, les camisoles et les caracos sont de toile, de tiretaine ou
de droguet. Le tablier est en toile. A la belle saison, le corsage peut être
d'étamine de différentes couleurs (tissu léger de fi) ou de laine). Les bas
sont de fil, de coton ou de laine. Un peu de fantaisie est admise dans la
coiffure. La coiffe de toile fine se présente ordinairement comme un bonnet.
Pour les cérémonies, ce bonnet est garni de mousseline et bordé de dentelle ou
de volants. Chez les « paysannes « le bonnet recouvre entièrement les
cheveux remontés en chignon derrière la tête. Le fichu, dont elles s'entourent
le cou et les épaules en le croisant sur la poitrine, est de tire-laine, de
laine, d'étamine et parfois de dentelle; il représente un élément de
coquetterie avec le châle et les sabots de bois décorés à la « rénette « .
Les souliers fins et les bottines de cuir ne seront à la portée de la bourse
des vannières que dans le dernier quart du XIXème siècle. Sur ses vêtements la
femme endosse une « mante » brune, de bure. de tire-laine ou de drap. Ce long
manteau ample sans manche, mais avec capuchon, la protège efficacement du froid
et de la pluie.
La robe blanche de mariée et le voile sont conservés
religieusement dans le coffre de l'épouse. Celle-ci possède quelques robes de
drap, de serge, de coutil ou « d'indienne « (toile de coton imprimée).
Les vêtements des enfants sont souvent taillés dans les
vêtements trop courts des parents. Ils sont confectionnés par les habiles
couturières que l'on trouve dans tous les villages.
Au
début du XXème siècle s'amorce une évolution dans la tenue vestimentaire des
femmes et des hommes. On délaisse certains vêtements classiques et on lève
quelques « tabous « pour mieux suivre la mode, sans crainte de faire
scandale. Cette modification du comportement est duc aux progrès réalisés dans
le domaine de l'agriculture et dans celui de l'industrie, progrès qui
conduisent à une amélioration des revenus des travailleurs, des
vanniers-osiériculteurs en particulier. Les jeunes femmes quittent le bonnet:
le dimanche elles chaussent des bottines de cuir: elles portent des chapeaux
originaux, enrubannés et emplumés, fabriqués par les « modistes » du
pays; elles revêtent corsages et robes élégantes. Les hommes adoptent les
souliers de cuir, le chapeau melon et le canotier en été: les plus modestes se
contentent de la casquette et du chapeau traditionnel. Les garçonnets ont des
culottes qui descendent jusqu'aux mollets et les fillettes des robes bordées de
dentelles qu'elles portent fièrement le dimanche.
Mais c'est après la terrible guerre de 14-18 que le monde
rural connaîtra une véritable révolution dans sa façon de vivre. Les Français,
enfin libérés de leurs angoisses, grisés par une victoire chèrement payée
hélas, croyant dans une paix durable, voudront, la jeunesse surtout, exprimer
leur joie de vivre, leur espoir en un avenir meilleur. La période de prospérité
matérielle qui succédera à cette catastrophe favorisera les aspirations les
plus audacieuses. Au « Fayl« les changements seront encore plus
importants que dans les villages d'alentour. Le lancement d'une nouvelle
industrie. « la fabrication de meubles en rotin », attirera nombre de
jeunes vanniers convaincus que cette « modernisation » de leur
métier sera la garantie d'un
avenir assuré, d'une vie
professionnelle moins
pénible, plus agréable que celle connue par leurs parents et grands parents.
Certains y trouveront, en plus, l'occasion de se libérer de « l’ autorité
parentale » et le moyen d'obtenir leur autonomie financière. En
travaillant avec les parents ils sont nourris, blanchis et vêtus (pas toujours
à leur goût), mais ne perçoivent qu'un peu d'argent de poche le dimanche ce qui
limite parfois leurs clans de jeunesse.
Les
personnes âgées resteront prudemment attachées à leurs coutumes, à leur manière
de vivre. Mais la jeunesse acceptera vite les nouveautés, suivra avec
enthousiasme les progrès matériels, les courants de la mode. Les revenus du
travail allant en progressant sensiblement, on se sentira un peu plus à l'aise,
ce qui favorisera la marche en avant dans un optimisme malgré tout raisonnable.
Les femmes couperont leurs cheveux, quelques unes se coifferont « à la garçonne » :
elles quitteront leur corset, opteront pour la robe courte, droite avec taille
basse, mettront un chapeau « cloche » sur leur tête, gaineront leurs
jambes de bas fins
indémaillables et chausseront des souliers vernis à brides. Les
hommes adjoindront à leur costume veston (droit ou croisé) le pardessus, les
chaussures basses (modèle Richelieu) un chapeau mou (modèle Chicago) et des
gants « beurre frais » (gants de peau de couleur jaune).
Cette
période euphorique, soulignée par de nombreux divertissements, ne durera, hélas
! qu'une dizaine d'années; elle sera brutalement interrompue par la crise
économique des années 1930.
N.B. Composition de quelques tissus. Toile: tissu simple de
chanvre, de lin, de coton:
bure ; étoffe grossière de laine; droguet: tissu mélangé de laine,
de fil ou de coton:
tiretaine: sorte de droguet, étoffe grossière de laine: coutil: toile
serrée croisée de fit ou de coton; serge: tissu à côtes obliques de laine:
drap: tissu de laine feutré: étamine: petite étoffe mince, légère, de soie, de
fil ou de laine:
flanelle: tissu de laine peignée peu serré:
mousseline: toile claire, très légère de coton, de soie ou de laine: indienne:
tissu de coton imprimé: calicot: toile de coton grossière; finette: toile de
coton à envers plucheux; velours: étoffe à poils courts et serrés de soie ou
de coton;
linon et batiste: toiles de lin ou de coton très claires,
(références: vocabulaire
de la langue française - 1827. Dictionnaire français de L.Pourret- 1881).
L'alimentation.
Durant des siècles et jusqu'au début du XXème le
pain constitue la base de l'alimentation du Français. On mange du pain à tous
les repas et pour ceux qui ne le fabriquent pas il représente 50 % des dépenses
alimentaires. Au début du XIXème siècle, la moyenne de la consommation
journalière, par personne, est proche du kilogramme (1) et l'on distingue
encore plusieurs catégories de pain: le pain blanc de pur froment que l'on voit
rarement sur la table des petites gens, qu'ils soient cultivateurs, artisans,
ouvriers ou petits commerçants; le pain bis, mélange de farine et de son: le
pain de méteil, mélange de froment et de seigle; le pain grossier ou pain
d'orge. A la campagne beaucoup de ménages fabriquent leur pain. Taillé en «
lèches » et trempé dans un bouillon ou dans du lait, il est le principal
composant de la soupe.(2) La « soupe »
est servie à tous les repas, matin, midi et soir. Pour la rendre plus consistante
on y ajoute des légumes cuits au pot, on obtient alors un potage
mais que l'on baptise toujours
soupe. On confectionne différentes « soupes »; il y a la soupe poireaux
pommes de terre, la soupe aux choux, la soupe de potée, la soupe de pot au feu
(un luxe); le bouillon gras provenant de la cuisson de
la viande de bœuf est très apprécié quand il est accompagné de quelques
légumes.
(1) La consommation de pain est réduite
aujourd'hui au tiers, voire au quart.
(2) D'où l'expression
« tremper sa soupe « .
Avec les vieux quignons de
pain on fait des « panades « (1) et avec le pain rassis « le pain perdu » un
régal (2). Le petit déjeuner des enfants consiste en un bol de lait et du pain.
Le pain est
sacré, on n'en perd pas une miette. Il est le fruit symbolique du travail: «
gagner son pain à la sueur de son front « , dit-on ! C'est au père. au
chef de famille que revient la mission d'entamer la miche et de tailler
soigneusement les tranches, non sans avoir au préalable tracé dessus le signe
de la croix avec la pointe du couteau; un témoignage de respect et de
reconnaissance que l'on adresse au « Seigneur « selon une vieille coutume
chrétienne et à laquelle on se conforme dans la plupart des familles. On prend
soin aussi de toujours poser la miche sur sa face plate afin de conjurer le
mauvais sort: un geste qui lui rappelle la survivance de certaines
superstitions profanes, la crainte obscure des puissances surnaturelles.
Le développement de la culture de la pomme de terre, tout au
long du XIXèmc siècle. apporte un complément alimentaire très apprécié surtout
les années où les récoltes de céréales sont déficitaires. Peu à
peu ce tubercule comestible prend une place importante, presque comparable à celle
du pain, dans l'alimentation de l'homme. Elle intervient aussi avantageusement
dans la préparation des pâtées destinées aux porcs et aux animaux de la
basse-cour (3). On recherche, évidemment, les variétés à fort rendement qui ne
possèdent pas toujours les meilleures qualités nutritives et gustatives. A la
fin du XIXéme siècle on cultive principalement deux variétés:« l'Abondance de
Metz » et « la Fin de siècle » .
La pomme de terre intervient aussi en supplément des légumes
féculents comme les fèves, les féveroles, les pois, les lentilles et les
haricots (flageolets, soissons, etc .). Les légumes racines, carottes, navets,
panais, raves, et les choux, sont aussi très présents dans la cuisine
familiale, ainsi que les salades, laitues et chicorées que l'on soigne
particulièrement dans le potager. A tous ces produits tirés du potager et du
champ, il faut ajouter les poireaux, les oignons, les échalotes, les aulx etc.
et les assaisonnements divers, sans lesquels il n'y a pas de bonne cuisine (4).
Le potager
a aussi ses petits éclats de lumière: quelques fleurs vivaces. peu exigeantes
en soins, apportent ça et la leurs frais coloris. Pivoines, marguerites,
gueules de loup. œillets de poètes, formeront les bouquets que les femmes iront
déposer pieusement au cimetière sur les tombes des parents et des amis
disparus.
Comme
beaucoup de gens de la campagne, le vannier élève un porc. La viande et la
graisse de cet animal contribuent à l'équilibre alimentaire (apport de
protéines et de lipides). On achète le « goret » à la foire de la Saint-Clément
ou à cette de la Chandeleur. On lui donne à manger des pommes de terre
récoltées dans le champ, des résidus de céréales. du son. des débris de
légumes, du petit lait, les eaux de vaisselle, éventuellement des fruits sauvages
(glands, faines). Bien nourri le « monsieur « atteint un poids
respectable, en moyenne 100 kg. Vient le jour du sacrifice: un matin de
décembre, quelque temps avant Noël. on procède à t'abattage de l'animal. Au «
Fayl et dans les villages des environs
on flambe le cochon pour brûler ses soies, tandis que dans certaines régions on
l'échaude pour mieux les racler. Ce procédé a l'inconvénient, selon certains,
de ramollir les chairs. Vidée puis débitée méthodiquement, la bête fournit
mille bonnes choses: les jambons et les jambonneaux, les côtelettes, les
épaules, l'échine, le filet, les grillades et les rôtis et aussi les quartiers
de lard. Tous ces morceaux de viande sont conservés dans le saloir, à la cave.
Il reste encore la tête et les pieds, les abats qui, bien préparés, sont un
régal: la cervelle, le foie, le fromage de tête, le boudin, les andouillettes.
etc. N'oublions pas te saindoux que l'on conserve précieusement dans des pots
de grés: il remplacera le beurre dans l'alimentation et servira d'onguent à
certaines occasions.
(1) Panade: pain
émietté. bouilli dans l'eau avec du beurre et parfois, en plus. un jaune d’œuf
ou du lait.
(2) Pain perdu:
tranches de pain rassis trempées dans un mélange de lait, d’œufs et de beurre:
le tout cuit au four.
(3) La culture de ta
pomme de terre au « Fayl « : partant de 20 hectares en 1794, elle
s'élèvera à 60 hectares en 1856 et à 110 hectares en 1896.
(4) La culture des
salades, des cornichons et concombres, des tomates, des haricots verts
et de quelques légumes rares, ne sera pratiquée, jusqu'au milieu du
XIXème siècle!c. que par les maraîchers des villes et les jardiniers des
maisons bourgeoises.
La potée est au menu de
tous les jours. Copieuse à l'automne avec l'abondance de légumes frais, elle
est plus modeste au début du printemps quand il ne reste dans les réserves que
des légumes secs et de vieilles pommes de terre. Maigre aussi, elle devient,
quand le lard diminue dans le saloir. Certains dimanches, pour rompre la
monotonie des repas quotidiens, on fait une ou deux victimes parmi les
habitants de la basse-cour. Il n'y a pas de « vrai » repas sans un pot-au-feu;
on le sert après le potage (toujours présent) et avant le rôti. La daube, bien
mijotée, prend aussi, peu à peu, sa place dans les menus de fête. On n'achète
que très rarement de la viande de boucherie, bœuf et veau sont un luxe. Le veau
n'est présent sur les tables paysannes et ouvrières qu'aux repas de noces. Au
début du XXème siècle, on commencera seulement à fréquenter un peu plus
régulièrement l'étal du boucher (1). Les œufs sont très appréciés; ils
remplacent souvent la viande et entrent aussi dans la préparation de nombreux
mets.
On
consomme très peu de beurre, il est trop cher pour les petites bourses. Les
fermières en font une source de revenu; elles le vendent au marché ou aux
consoniers qui le ramassent avec les œufs dans les fermes.
Situé au carrefour de
quatre provinces, Fayl-Billot a hérité tout naturellement de certaines coutumes
et de recettes culinaires provenant des différents terroirs qui l'entourent.
La crème
entre dans la préparation de beaucoup de mets; elle apporte le petit supplément
qui flatte le palais. La ménagère la prélève précautionneusement à la surface
du lait frais qui a reposé toute la nuit dans une jatte. On mange beaucoup de
fromage blanc que l'on fabrique à la maison avec le lait acheté chez un ami
cultivateur, celui avec qui on échange des services.
A
l'automne, à partir du mois de septembre, la ménagère fabrique les fromages
blancs qu'elle fait sécher doucement dans une « chazière « d'osier
suspendre dehors sous abri. Soignés régulièrement en cave, salés, lavés,
enveloppés dans des feuilles de vigne ou de platane, ils mûrissent lentement,
deviennent onctueux et prennent une belle teinte dorée. On en mange tout
l'hiver. Comme « le Fayl » est proche de la Franche-Comté on connaît
aussi la « cancoillotte » (fabriquée maison ) et les « gaudes » , une
bouillie de farine de maïs grillé délayée dans du lait (le maïs est appelé blé
de Turquie ou blé d'Espagne) La quiche lorraine entre aussi dans la composition
des menus.
En hiver
on fait « les gaufres » à l'occasion d'un fête ou d'une veillée que l'on
organise avec des amis et des voisins. Molles ou sèches ces petites
gourmandises campagnardes sont cuites à l'âtre et font les délices des
convives. Elles resteront dans l'avenir, avec la tarte, la brioche, les crêpes
et les beignets, des desserts traditionnels que l'on retrouvera toujours avec
plaisir.
Les fruits
tiennent également une place de choix dans l'alimentation; fruits cultivés et
fruits sauvages sont très appréciés. Au début du XIXèmc siècle les vergers sont
peu nombreux ,(2) mais chaque maison possède au fond de son jardin quelques
arbres fruitiers: pommier, poirier, prunier, cerisier, cognassier, noyer,
groseilliers (3). On ne néglige pas les fruits sauvages et leur cueillette fait
partie des divertissements auxquels participent les enfants; cueillette des
fraises des bois, des mûres, des framboises, des noisettes, des nèfles, etc.
Pour prolonger la conservation de certains fruits on les fait sécher au soleil ou
dans un four à pain.
(1) En 1896, il y avait
trois bouchers à Fayl-Billot.
(2) Vergers: on
dénombrait au « Fayl » 16 ha de vergers en 1836 et 45 ha en 1911
(3) Les principales
variétés de fruits cultivés étaient les suivantes:
Pommes;
Transparente blanche, Bandon, Auberive, Grillot, Calville, Rambour, Reinette
grise. Président
Mougeot, Grand Alexandre.
Poires: de Curé, des Moissons, Rousselet de Reims, Calouët,
Docteur Guyot, Louise Bonne, Conférence.
Prunes : Patrigone, Damas, Coco jaune, Madeleine, Quetsche.
Cerises : Guigne, Aigre et Aigre-douce,Cœur de pigeon.
On notera que certaines
appellations peuvent n'avoir qu'une valeur locale.
Les pommes découpées en
quartiers deviennent des « chochons » (1) et les prunes de délicieux pruneaux.
Les cerises aigres sont conservées dans l'alcool. Avec les groseilles, les
fraises, les framboises, les mûres, les coings, on fait de la confiture, avec
les pommes et les poires, des compotes.
Les fourneaux en fonte apparaissent dans les
maisons modestes après 1870. Ils rendent de grands services, facilitent la
cuisson des aliments, la confection des pâtisseries cuites au four et la
dessiccation des fruits. Aux différentes pratiques traditionnelles de
conservation, salaison, fumage, dessiccation, vient s'ajouter le procédé de «
stérilisation » qui permettra de cuire et de conserver certains fruits et
légumes dans des bouteilles et des bocaux de verre hermétiquement fermés.
Beaucoup plus tard on aura recours à la « congélation ».
Jusqu'au milieu du XIXèmc siècle, avant
l'arrivée du chemin de fer, les gens des campagnes éloignées de la mer ne
connaissent que les poissons d'eau douce. Pour manger du poisson il faut être
propriétaire d'un étang ou avoir l'autorisation d'y pécher, ou plus simplement
habiter à proximité d'une rivière, un privilège que les gens du « Fayl » n'ont
pas. La rivière la plus proche est l'Amance et pour y pêcher couramment le
vannier devra attendre de pouvoir s'offrir une bicyclette. Les seuls poissons
de mer connus sont les harengs et la morue, salés, sèches ou fumés. Ces
poissons conservés dans des tonnelets sont vendus pour quelques « sous » chez
l'épicier: ils figurent sur la table du paysan et de l'ouvrier généralement le
vendredi « jour maigre » pour ceux qui observent les préceptes de la religion
chrétienne.
Chez les « petites gens », l'eau est la boisson habituelle:
elle n'est pas toujours parfaitement potable surtout quand elle provient de
certains puits mal environnés (tas de fumier proches). Fayl-Billot n'étant pas
un pays vignoble, le vin est plutôt rare sur la table du vannier. Quand
celui-ci veut égayer un jour de fête et soigner dignement ses convives, il
achète un produit des coteaux de l'Amance. Quelques bouteilles « millésimées »
(années exceptionnelles) sont mises en réserve; on ne les débouchera que les
jours fastes. Les vins provenant du midi de la France et d'Algérie, en vente
chez les négociants du pays, n'entreront couramment dans la consommation
familiale qu'au XXème siècle.
On
remplace le vin par la « piquette » que l'on fabrique avec des pommes, des
poires de moindre qualité, des groseilles et des fruits sauvages ramassés dans
les bois et les friches: prunelles, alises, etc. Quand le porte-monnaie le
permet, on ajoute un peu de sucre au mélange de fruits afin de réduire son
âpreté. Les fruits broyés sont mis dans un tonneau que l'on remplit d'eau
ensuite. On remue tous les jours la matière à l'aide d'un bâton introduit dans
le tonneau par la bonde. Au bout de quelques semaines on obtient, après
fermentation, une boisson aigrelette, rafraîchissante, que l'on tire dans un
pichet en prenant soin de recharger, chaque fois. avec la même quantité d'eau.
Le résultat est supérieur en qualité quand on peut y ajouter des marcs de
raisin et faire un petit « râpé ».
L'agrandissement
et la multiplication des vergers au XX ème siècle, permettra de développer la
culture des arbres fruitiers et en particulier celle des pommiers à cidre.
(1) Chochons: mot
dérivé du patois « choche », qui veut dire séché.
La bière sera considérée pendant
longtemps comme une boisson de luxe. On ne la déguste, en général, que dans les
cabarets et les auberges, et cela malgré la présence de deux brasseries à Fayl-Billot.
Jadis il y avait deux brasseries à
Fayl-Billot:
-
1° La plus ancienne, la brasserie Chevallier-Vosgien fondée avant 1840, était
située rue de la Perrière (aujourd'hui n° 32). En 1840, elle était louée et
exploitée par Pierre Florent Brocard originaire de Côte-d'Or. Cette brasserie
changea plusieurs fois de propriétaire. En 1862, elle fut vendue à Auguste
Hauser, un alsacien garçon brasseur à Fayl-Billot. En 1874, elle devint la
propriété de Mme Vve Pierre Florent Brocard et de son fils Paul.
-2°
La brasserie Pierre Florent Brocard, fondée par son propriétaire vers 1853,
installée dans la Grande Rue de Fayl-Billot (Maison Rolée au n°25). A Florent
Brocard succéda son fils Paul, puis ses deux petits fils Jules et Félix
Brocard qui continuèrent de fabriquer de la bière jusqu'en 1931. A partir de
cette date et jusqu'en 1956, la Maison Brocard devint entrepositaire des
bières de Humes, puis de Vezelise. (embouteillage et vente).
Source: Patrimoine de Fayl-Billot. Exposition de
l'office de tourisme en juin 1997.
Dans
chaque maison on fabrique eaux-de-vie et spiritueux, avec plus ou moins de
savoir et de bonheur ; il y a les « gens habités « et les « malchanceux »
! On distille (on brûle) prunes, pommes, poires, cerises, prunelles des
buissons et marc de raisin quand on possède une vigne. Les femmes
confectionnent divers apéritifs et liqueurs « digestives »: vin de cerise, vin
de groseilles, brou de noix, liqueur d'angélique, de prunelle, de cassis,
d'estragon, de framboise, etc. produits de macération et de savants dosages,
recettes que l'on se transmet de bouche à oreille.
Au XIXème
siècle, le café et le chocolat sont des denrées chères que beaucoup de familles
ne peuvent s'offrir. La consommation du café ne débutera que vers la fin du
siécle, très modérément, et souvent on mélange avec de la chicorée. Le café au
fait deviendra progressivement le petit déjeuner des femmes et des enfants. On
économise le sucre; il est acheté chez l'épicier qui l'extrait en morceaux
inégaux d'un pain conique, à l'aide d'une pince appropriée.
L'épargne.
Au XIXème siècle et
encore au XXème, les vanniers, comme la plupart des gens, vivent de l'épargne.
C'est pour eux le seul moyen de se prémunir contre les grands maux tant
redoutés: la maladie, l'accident, la vieillesse et toutes les calamités
possibles. Les premières assurances incendies, créées au XVII ième siècle,
ne se développent qu'au XIXème de même les assurances, les mutuelles, contre
les accidents et les maladies. Les Caisses de retraite ne sont fondées qu'à partir
des années 1880 et au début du XXème siècle. Autant dire que jusqu'au début du
XXème siècle, les gens peu fortunés ne peuvent compter que sur leur sagesse et
sur la solidarité publique dans les cas extrêmes de dénuement. La prudence, le
sens de la mesure dans les dépenses, la prévoyance, sont les vertus nécessaires
à une bonne gestion ménagère.
En économisant sur tout on parvient à
constituer une petite réserve, à « mettre un peu d'argent de côté » selon un
expression familière. Cette partie du revenu qui n'est pas sacrifiée à la
consommation , convertie en pièces sonnantes et trébuchantes (parfois en or),
est précieusement conservée, accumulée peu à peu dans le « bas de laine ». ou plus justement,
dans « la chaussette » pourrait-on dire ! Au XIXème siècle, la
monnaie a une valeur à peu près stable et l'on ne craint pas encore les effets
néfastes des inflations qui provoqueront, au XXème siècle, des érosions
monétaires successives, affligeantes pour tes petits épargnants. On arrondit
la « gauyeute » (en patois du
Fayl) en bannissant le gaspillage. On économise sur la nourriture, sur
l'habillement, sur tout le matériel, l'outillage, le mobilier. On répare, on
entretient, on raccommode beaucoup « on fait durer » . Dans les
vêtements trop courts ou usagés, on récupère ce qui est encore utilisable, pour
rapiécer, ravauder des habits de travail.
Les « bas de laine » , produits
de J'épargne spontanée individuelle, représentent une partie très importante de
la masse monétaire mise en circulation. Pour réduire cette thésaurisation
infructueuse, sont fondées au XIXème siècle) les Caisses d'Epargne et de
Prévoyance, souvent sur l'initiative des Municipalités. La Caisse de
Fayt-Billot est créée officiellement le 27 janvier 1877. Elle est gérée par un
président et un vice-président, douze directeurs-administrateurs et un
caissier. Les Caisses d'Epargne donnent la faculté aux épargnants de placer
leurs économies en toute sécurité et de les faire fructifier. Elles connaissent
un certain succès car elles versent des intérêts annuels (3 %) qui. s'ils ne
sont pas retirés, s'ajoutent au capital placé et le font grossir (intérêts
composés). Le compte ouvert à chaque épargnant ne peut cependant dépasser une
certaine somme (1.500 F. en 1881). Enfin, le titulaire du carnet de placement
dispose à tout moment de son argent et peut opérer des retraits selon ses
besoins.
Cette gestion raisonnée, basée sur
l'épargne, pratiquée par presque toutes les familles. se relâchera peu à peu
après la guerre de 1914 par suite d'une amélioration sensible du pouvoir
d'achat. D'autre part, la possibilité de contracter des assurances sera aussi
un moyen, pour ceux qui le désireront, de se protéger, en partie, contre
l'adversité. Toutefois. l'épargne restera pour certains. un réflexe sécurisant;
mais les inflations successives et l'ouverture du crédit, parviendront peu à
peu à atténuer ce comportement viscéral.
XLII à XLIII Représentations de maisons de vanniers
Sources
de documentation
« La mort et les hommes en
Haute-Marne au XIXème siècle ». Jean-Louis Maigret 1987. « La Haute-Marne
« - Marcel Henriot et Paul Méjcan - 1959. « Vocabulaire de la langue
française » - 1827. « Dictionnaire français « L. Pourret - 1881.
-
Archives communales.
-
Mémoires de vieux vanniers.
-
Patrimoine de Fayl-Billot -Etude réalisée par les élèves du collège des « Trois
Provinces )) sous la conduite de monsieur Marcel Aubertin. Exposition à
l'office de tourisme, juin 1997.
Bibliographie Ouvrages
conseillés sur la vie d'autrefois à la campagne:
«
Le pain au lièvre » - Joseph Cressot - Reédition de 1952 - Le Républicain
Lorrain à Metz.
«
Le Jean du Bois « - du même auteur - 1950 - Librairie Stock.
«
Les Bassignots « - Robert Collin - 1968 - Imprimerie Dominique Gueniot à
Langres.
« Les veillées Bassignottes » - du même auteur -
1975 - Imprimerie S.LD.E.C. à Chaumont.
«
La lampe Pigeon » - id
- 1973 id
« Un homme et son terroir « Albert
Demard et J.C. Demard - 1978 - Editions Joël Guénot..
«
La saga du Haut-gué « Jean-Christophe Demard - 1987 - E.R.T.L éditeur.
«
Les saisons » Jean Robinet - 1980 - Editions Serpenoises à Metz.
«
Poils et panaches » - du même auteur -
1975 - Le Républicain Lorrain à Metz.