FAYL-BILLOT AU COURS DES SIECLES

LE VANNIER DANS SON CADRE FAMILIAL

Rares sont les documents qui pourraient nous permettre d'évoquer, avec assurance, la vie des vanniers du Fayl et des pays d'alentour, au XVIIème et au XVIIIéme siècle. Nous imaginons qu'elle devait être comparable à celle des paysans et des petits artisans.

Les registres paroissiaux du « Fayl » nous apprennent l'existence, en permanence, d'une vingtaine de vanniers au début du XVIIIéme siècle, et d'une quarantaine au moment de la Révolution de 1789. Qu'elle pouvait être la situation matérielle de ces vanniers ? Bien inégale sans doute ? Les conditions de vie devaient être assez différentes entre les plus pauvres qui ne possédaient rien et ne vivaient que du maigre revenu de leur travail, et ceux qui étaient propriétaires d'une maison, d'une « saussaie » et d'un lopin de terre.

Si l'on se réfère aux états de sections de :recensement de toutes les propriétés, bâties et non bâties, en vue de l'établissement d'une contribution foncière, peu de vanniers possédaient une maison à cette date;  sur 53 contribuables ayant une « saussaie « , la moitié seulement étaient des vanniers dont trois cultivaient plus de 50 ares de «  saule « . On peut donc supposer que dans l'ensemble, à part quelques cas particuliers, l'état de vannier était assez précaire, comparable à celui du manouvrier, du tisserand et du tourneur sur bois.

 

En 1836, lors de l'établissement du cadastre de FayI-Billot, la proportion de vanniers propriétaires d'une

« saussaie «  était sensiblement la même qu'en 1791 (38 vanniers sur 65 osiériculteurs), mais la superficie moyenne de l'oseraie familiale s'était agrandie: de 26 ares elle était passée à 36 ares; huit vanniers-osiériculteurs cultivaient plus de 50 ares de « saule ». Le sort des vanniers semble s'être amélioré, en général, à partir du milieu du XIXème siècle; mais c'est véritablement dans le dernier quart de ce siècle et au début du XXème, jusqu'à la fin des années 1920, que l'on peut situer la grande période de croissance de la vannerie haut-marnaise et, avec elle, une élévation notable du niveau de vie des vanniers et des osiériculteurs.

Beaucoup de familles parvinrent à sortir de leur condition précaire par le travail et l'épargne et souvent en adjoignant à leurs tâches principales une petite activité agricole d'appoint (potager, verger, petit élevage) qui leur permettait de réduire, dans la mesure du possible, les dépenses alimentaires.

A cette époque l'unité familiale reposait sur des valeurs prédominantes, dans le monde rural surtout: le travail, l'ordre, l'épargne et le respect de la propriété. On n'était pas envieux, pas jaloux; on cherchait simplement à vivre honnêtement du fruit de son travail et à acquérir une certaine sécurité matérielle. On ne voulait pas avoir recours aux aides publiques, ce qui était considéré comme un déshonneur, une humiliation.

La famille vannière.

La famille constitue l'unité de base des sociétés organisées. Cette unité est généralement consacrée par le mariage, un acte officiel, un engagement pris dans le respect de certaines règles (lois), de rites et de traditions qui remontent parfois à des temps très anciens: mariage civil, mariage religieux. Les actes de mariage sont de précieuses sources de renseignements qui permettent d'établir avec précision les filiations.


 

Les vanniers et le mariage. Origines sociales et de lieux des époux.

Jadis, les alliances se faisaient le plus souvent entre familles de même milieu professionnel ou de conditions sociales comparables. C'est ainsi que se formaient des parentés entre familles vannières, ou entre familles de vanniers et familles de tisserands, de tourneurs-chaisiers, de petits artisans, de manouvriers, de petits cultivateurs, etc. Cette règle ne présentait que de rares exceptions. Les unions entre jeunes gens habitant le même village, ou des villages voisins, étaient courantes.

Autrefois, avant l'apparition de la bicyclette, appareil de locomotion des classes populaires (fin XIXème et début XXéme siècle), on ne se déplaçait qu'à pied ou en voiture à cheval; mais tout le monde n'en possédait pas. Les sorties tournaient donc autour du lieu de résidence dans un rayon qui n'excédait pas quelques lieues; on n'avait recours au chemin de fer (XIXème siècle) que pour les déplacements exceptionnels.

Les foires locales comptaient parmi les grands événements de l'année; on s'y rendait comme à une fête, sûr d'y retrouver quelques parents, amis et connaissances. Les fêtes patronales, les mariages, les grandes réunions familiales, étaient les principales occasions de rencontre à la faveur desquelles se nouaient des idylles et prenaient naissance des engagements sérieux. Au bout d'un temps de fréquentation, parfois assez long, venaient le jour des fiançailles, la promesse de mariage entre les futurs époux, assortie de la « bénédiction » des parents; puis enfin, c'étaient les épousailles.

 Pour la célébration du mariage on se rendait en cortège à la mairie et à l'église. La noce durait deux jours, parfois trois, pendant lesquels on dansait, on festoyait dans la limite de ses moyens car les vanniers n'étaient pas des Crésus. En ces jours de liesse, quelques vieilles traditions, pas toujours agréables, étaient imposées aux nouveaux mariés; ils devaient les observer de bonne grâce sous peine d'être chahutés.

Les enfants.

Aux siècles passés on comptait, en moyenne, trois enfants (vivants) par ménage. A une forte natalité s'opposait un taux de mortalité infantile très élevé; les causes de décès étaient multiples:                                            insuffisance d'hygiène, malnutrition, sous alimentation à certaines époques, promiscuité, pollution de l'eau, maladies épidémiques, accidents, carence des structures médicales, etc.

En Haute-Marne, le taux de mortalité des enfants âgés de moins d'un an s'élevait à 25% au XVIIIème siècle, à 20% au XIXème et à 10% au début du XXème. Une seconde pointe de mortalité se manifestait aux âges de six à neuf ans et une troisième entre vingt et vingt cinq ans. A la naissance, l'espérance de vie de l'ensemble de la population (hommes et femmes) était de 33% au début du XIXème siècle, de 50% à la fin du XIXème et de 55% au début du XXème. « La mort et les hommes en Haute-Marne au XIXème siècle ». La morbidité de 1780 à 1914. Jean-Louis MAIGROT - 1987.

 

Après une enfance et une adolescence passées sous l'autorité des parents qui inculquaient les bons principes, rappelaient certains préceptes de la morale et s'attachaient à éveiller l'amour du travail, venait l'âge adulte et le temps de fonder un foyer.

Le nouveau couple, désireux de former le noyau d'une cellule familiale, se mettait en quête d'une maison pour s'y installer et obtenir ainsi son autonomie (famille nucléaire). Si cette possibilité ne lui était pas offerte il vivait alors chez les parents sous le même toit. C'était alors la famille étendue et le régime patriarcal (le père est le chef de famille). Cette vie communautaire familiale présentait certains avantages mais aussi des inconvénients. Le gendre devait accepter l'autorité de sa belle famille. Souvent il épousait le métier de son beau-père et l'on voyait un tisserand, un tourneur, un manouvrier devenir un vannier; une nouvelle famille venait grossir la communauté vannière. La jeune épouse qui vivait chez ses beaux-parents participait à tous les travaux de la maison. Le couple y perdait en indépendance et en initiative; en revanche, il bénéficiait d'une certaine sécurité matérielle. difficile à obtenir au cours des premières années de mariage: aide et assistance lors des naissances et de la maladie, éventuellement d'un accident ou d'un décès. Fréquemment, la benjamine d'une famille demeurait, avec son époux, auprès de ses parents; le couple devenait avec le temps, leur soutien, leur       « bâton de vieillesse ». (la benjamine: lai queulcutte en patois).

Les activités familiales.

Au XIXéme siècle, et jusqu'au milieu du XXème, la besogne ne manque pas au foyer du vannier. Il y a d'abord tous les travaux inhérents au métier de vannier-osiériculteur puis, en plus, les tâches domestiques intérieures (entretien de la maison) et extérieures (activités agricoles). Tous les membres de la famille sont mis à contribution, chacun ayant son travail à accomplir dans la mesure de ses compétences et de ses forces. La solidarité familiale joue en toutes circonstances et elle est enseignée très tôt aux enfants.

Le père doit pourvoir à la subsistance de sa famille; il en est le chef, le protecteur. Conscient de ses responsabilités, il veille, avec son épouse, à l'éducation des enfants. Il accomplit les travaux les plus durs physiquement, que ce soit à la maison, à l'oseraie, au jardin et aux champs. Au XIXème siècte, et encore au début du XXème, la vie à la campagne est guidée par la course du soleil.

Le vannier se lève tôt, souvent vers les quatre heures du matin en été. Le travail de  la matinée est interrompu vers huit heures, le temps de prendre une petite collation. Vers dix-sept heures ou dix- huit heures, le vannier quitte son atelier et s'adonne à quelques travaux de jardinage ou d'entretien de la maison. On « soupe » en général vers dix-neuf heures en été, parfois vers vingt heures, plus tôt en hiver, et on se couche de bonne heure. De temps en temps, à certaines occasions, on organise des veillées en famille ou avec des voisins. Certaines journées sont consacrées aux travaux champêtres et à d'autres besognes domestiques, comme couper et fabriquer du bois, faire du cidre ou de la « piquette », nettoyer la soue à cochon, la clapier et le poulailler, éventuellement l'étable si l'on possède une vache, etc.

L'épouse a aussi ses occupations. A elle revient les tâches ménagères, la préparation des repas, la lessive, le repassage, la couture (1), le nettoyage et le rangement de la maison. Elle soigne les animaux, porc, volailles, lapins. Bien souvent elle a la responsabilité de la gestion du ménage et tient, dans ce cas, les « cordons de la bourse ».

A ces nombreuses tâches quotidiennes s'ajoutent, selon les saisons, le jardinage, la récolte des fruits et des légumes (souvent faite en famille à l'automne), la préparation des conserves, des confitures, etc. Elle assiste son mari dans tes travaux osiéricoles, sarclages, binages, coupe de l'osier, épluchage, décorticage. Certaines font de la vannerie durant l'hiver.

Les enfants prennent part aux tâches domestiques. Ils sont initiés à la culture et au travail de l'osier. (2) Très tôt au printemps, ils quittent l'école pour aider leurs parents à « décortiquer la saule ».

Les grands parents participent aussi aux activités de la maisonnée. Ils rendent divers petits services qui exigent souvent plus de patience que d'efforts physiques.

(1) Toute bonne ménagère doit savoir coudre et repriser. Ces connaissances pratiques se transmettent de mère en fille. Elles sont enseignées à l'école avec la broderie. La jeune fille est tenue de confectionner son « trousseau », habits, linge, parures, qu'elle emporte quand elle se marie.

(2) Aux enfants on confie le triage des « saules », le tressage de quelques fonds de paniers et l'achèvement de « clôtures » ébauchées sur la « sellette » par le père.


 

La maison du vannier.

Elle est plus ou moins grande et confortable et correspond, en générai, à la situation de fortune de ses occupants. Beaucoup de maisons anciennes habitées par des vanniers, propriétaires ou locataires, n'ont pas été conçues et construites spécialement à leur usage. Certaines ont été réaménagées plusieurs fois pour des raisons professionnelles et de commodité personnelle. Les maisons des vanniers ont donc des structures différentes. On distingue:

1 - La petite maison, genre chaumière, ancienne habitation du rurale pauvre: journalier, ou­vrier, domestique, etc. Elle date du XVIIIème siècle ou du début du XIXéme.

2 - La maison du petit cultivateur, du manouvrier (XVIIIème et XIXéme siècle).

3 - La maison « type » du vannier, construite à son usage au XIXéme siècle.

- La première maison ne comporte généralement que deux pièces au rez-de-chaussée. La porte d'entrée s'ouvre sur la pièce commune qui est assez grande pour tenir lieu de cuisine et de séjour et souvent de chambre aux parents quand elle est pourvue d'une alcôve. C'est dans cette pièce que travaille le vannier; le sol est de terre battue. La seconde pièce, contiguë à la salle commune, sert de chambre aux enfants; on l'utilise occasionnellement comme pièce « d'accueil » les jours de fête. Le grenier s'étend sur les deux pièces; on y range la récolte d'osier. Cette petite maison est souvent munie d'une cave ou d'un cellier. Des appentis, construits derrière l'habitation, font office de remise; on y entrepose du matériel, l'outillage, le bois de chauffage. Ils servent aussi d'abri à la soue à cochon, au poulailler et au clapier.

- La seconde maison, celle du petit cultivateur, du manouvrier, est plus spacieuse que la précédente. Elle est divisée en deux parties: un corps de logis et un corps de bâtiment d'exploitation. Le corps de logis comprend deux pièces au rez-de-chaussée. D'abord une salle commune (cuisine et séjour) ouverte sur la façade (porte d'entrée et fenêtre); le sol est de terre battue ou dallé de pierre. En prolongement se trouve la pièce de « réception » que  l’on appelle )e « poêle », avec vue sur la cour intérieure et le jardin. Cette pièce a un sol en plancher: le vannier en a fait son atelier. A l'étage on trouve une ou deux chambres avec accès au grenier. Le corps de bâtiment à usage agricole est contigu au corps de logis, il en est séparé par un mur de refend qui s'élève jusqu'à la toiture (coupe-feu). C'était jadis la grange avec au fond, ou sur le côté, la petite écurie-étable et au-dessus le fenil et le grenier à grains. Ce corps de bâtiment sert de remise, de bûcher et de grenier à osier. Il abrite aussi le petit élevage.

- Le troisième type d'habitation date en général de la seconde moitié du XIXéme siècle. Sa conception répondait, en principe, aux nécessités de la vie professionnelle et familiale du vannier-osiériculteur d'autrefois. La distribution de cette maison présente plusieurs variantes; le plus souvent elle est divisée en deux parties, dans le sens de la profondeur, par un mur de refend qui s'élève parfois jusqu'à la toiture. L'une des deux parties constitue le corps de logis, l'autre est une annexe utilisée pour les activités osiéricoles et horticoles, le rangement du bois, du matériel, etc. (bûcher et remise). Au dessus de ces locaux du rez-de-chaussée se trouve le grenier à osier avec son ouverture extérieure aménagée au niveau du plancher pour faciliter le passage des bottes lors de l'emmagasinage de la récolte et éventuellement le rangement du bois de chauffage.

Poulailler, clapier et soue à cochon, sont couramment installés sous un appentis.

La partie logis comprend deux pièces au rez-de-chaussée. La première, située sur le devant de la maison, est la salle commune (cuisine et séjour); le sol est dallé de pierre ou de brique. Dans le prolongement de cette pièce se trouve l'atelier du vannier avec son sol en plancher. A l'étage sont aménagées deux chambres.

Une autre maison de vannier, de conception un peu différente, comprend deux pièces au rez-de-chaussée (salle commune et atelier) et deux chambres à l'étage plus le grenier à osier. La salle commune occupe tout le devant de la maison: la porte d'entrée est au centre de la façade, avec de chaque côté une fenêtre. L'atelier est situé sur l’arrière, côté cour et jardin; il est bien souvent contigu à un local de rangement (bois, outillage, matériels).


 

Petite maison de vannier datant vraisemblablement du XVIIème ou du XVIIIeme siècle. Elle a été démolie en 1992 lors des travaux d'assainissement de la rue Sainte-Anne.

Maison de vannier-osiériculteur construite au XIXèmc siècle.


 

TYPE de MAISON de VANNIER - OSIERICULTEUR

(XIXémc siécle)

 

 

Dans certaines maisons datant de cette époque, la distribution du rez de chaussée est différente du plan ci-dessus. Le « Poêle » est présent, il se trouve habituellement en prolongement de la salle commune; l'atelier est sur le devant de la maison au lieu et place du local osiéricole.


Presque toutes les maisons sont pourvues d'une cave voûtée, à défaut d'un cellier. Dans certaines caves. Il existe une petite citerne où sont recueillies les eaux d'infiltration. Quelques maisons possèdent un puits dont !'eau est conduite jusqu'à l'évier situé dans la pièce commune; sur cet évier est installée une pompe à bras. De nombreuses fontaines, bien réparties dans le village, et quelques puits publies assurent l'alimentation générale de la population en eau potable.

Les maisons sont construites en pierre de grès du pays. Les murs sont crépis à chaux et à sable. Les charpentes des toitures sont de chêne, mais les couvertures sont de chaume au XVIIème siècle seules quelques maisons de maîtres et les maisons bourgeoises ont une couverture de tuiles plates. Ces toitures de chaume sont, de nombreuses fois, la cause de grandes catastrophes lors d'incendies assez fréquents, en particulier en 1668 et en 1687. (voir l'histoire de Fayl-Billot de l'Abbé Briffant). Ce genre de couverture sera interdit à partir de 1863 (1). Au XVIIIeme siècles et au XIXème, les toitures se font progressivement en tuiles plates rectangulaires ou à écaille, puis en tuiles montées, dites tuiles mécaniques, de différents modèles. (A partir du milieu du XIXéme siècle).

Le mobilier.

Comme la maison, il indique le niveau d'aisance de la famille. Réduit à ressentie chez les gens pauvres, il est plus important et plus confortable, sans être luxueux, chez les vanniers plus favorisés par le sort. Bien souvent ce mobilier provient d'héritages ce qui le rend plus précieux au regard de ses propriétaires. A la fin du XÎXème siècle, chez un vannier bien installé, on peut inventorier un mobilier assez complet et de bel aspect.

Dans la salle commune on voit: une grande table rectangulaire, ou ronde, avec autour des chaises paillées fabriquées au « Fayl » ou dans les environs; parfois une maie; un buffet bas (bahut) ou un vaisselier: une horloge (souvent un modèle comtois); un fourneau en fonte à trois ou quatre trous placé devant la grande cheminée: quelquefois une alcôve, ou à la place un escalier qui permet d'accéder à l'étage. Sur un côté sont des placards et l'évier; ils garnissent tout un mur de la salle. Dans le placard à évier sont rangés divers ustensiles de cuisine. La vaisselle est de faïence et les couverts sont en fer étamé; ils étaient de bois et d'étain au XVIÏIème siècle. Sur la tablette de la cheminée sont posés en évidence des chandeliers, une lampe Pigeon, une lanterne et des allumettes. Au plafond est suspendue une lampe à pétrole.

Le mobilier des chambres situées à l'étage comprend: un lit à « rouleaux «  ou un lit « bateau « ; une armoire ou une commode; une table de toilette et ses accessoires; parfois un guéridon. Le linge de maison est en toile de chanvre ou de lin; il sera plus tard de coton et de métis.

Les pauvres gens couchent sur une « paillasse «  souvent garnie de feuilles sèches ou de fougères, tandis que les personnes fortunées ont des matelas de laine et de crin. Couettes, édredons et oreillers sont bourrés de plumes ou de duvet. Au XXème siècle, les couettes seront remplacées par des couvertures piquées garnies de laine. Pour chauffer les lits, en hiver, on a recours à divers ustensiles appropriés: le moine et sa chaufferette, la bassinoire et les bouillottes.

 

Les meubles campagnards du XVIIème et du XVIHème siècles s'affinent au XIXème sous les mains de menuisiers ébénistes habiles. Certaines pièces, buffets, armoires, bahuts, coffres, lits et tables sont de belle fabrication; faits de bois de chêne massif, d'orme, de merisier, de noyer, de poirier, etc. ils ne manquent pas de charme et de prestance. Ils sont couramment le reflet d'un croisement d'influences provenant des quatre provinces qui avoisinent le sud-est de la Haute-Marne: la Champagne, la Bourgogne, la Franche-Comté et la Lorraine. A travers eux se voient aussi les empreintes des styles qui ont caractérisé différentes époques; Louis XIII. Louis XIV, Louis XV, Restauration. Louis-Philippe, Second Empire. Ces meubles rustiques de qualité sont très recherchés aujourd'hui par les antiquaires et les amateurs de mobilier ancien.

(1) Règlement de police de la commune de Fayl-Billot - 1863. Chapitre V. Incendies. Couvertures en chaume.

« Article 75. Il est défendu de couvrir en chaume, pailles, roseaux, bardeaux ou autres matiè­res combustibles, les bâtiments d'habitation ou d'exploitation dans l'étendue de la commune ».

N.B. Dans le « poêle » (quand il existe) on trouve généralement une table et des sièges paillés, un lit de coin, une armoire et le poêle à bois, indice de progrès dans le confort de la maison.


 

L'habillement.

Jusqu'à la fin du XIXéme siècle, et parfois jusqu'au début du XXéme, les gens de la campagne, cultivateurs, manouvriers, artisans, ouvriers, etc. manifestent une grande modestie dans leur tenue vestimentaire. Ce comportement s'explique par !a médiocrité des ressources pécuniaires et par une réserve prudente, instinctive, conditionnée par le souvenir d'un passé austère, jalonné de dures épreuves durant des générations; un passé ancré dans les mémoires malgré le temps qui s'écoule et une amélioration des conditions de vie. Seules les femmes sont autorisées à déployer un petit brin de coquetterie dans leur toilette du dimanche, sous réserve que cela ne choque pas ta décence.

 

A travers les écrits et les gravures du XVIIIème siècle et de la première moitié du XIXéme, il est difficile de trouver des indications précises sur les vanniers, leur façon de vivre et de s'habiller . Il semblerait que les vanniers n'aient jamais porté de costumes bien particuliers. En ce qui concerne la fin du XIXéme siècle et le début du XXème, nous disposons des témoignages recueillis naguère auprès des anciens du pays et des environs et en plus d'une abondante documentation photographique (cartes postales en particulier) qui nous donne de précieux renseignements sur les vanniers.

Jusqu'à la fin du XIXéme siècle, les tissus ne sont confectionnés qu'avec des fibres naturelles animale et végétales: laine, lin, chanvre, coton (1) et soie. Certains de ces tissus permettent de fabriquer des vêtements très résistants à l'usure.

 

Au milieu du XIXéme siècle, le vannier-osiériculteur est vêtu d'un pantalon, d'un gilet, d'une veste ou d'une vareuse de « droguet », de « tiretaine », de « serge » ou de toile, selon la saison. Ses sous-vêtements sont de toile plus ou moins fine, ou de flanelle. Il est chaussé ordinairement de sabots et porte des chaussettes de laine ou de fils. Les souliers de cuir, qui valent très cher, ne s'associent généralement qu'au costume de cérémonie. Le bonnet de travail (début du XIXéme siècle) est remplacé par la « casquette à pont », très populaire. (2) Les jours de fête il arbore le gibus ou le chapeau de feutre noir à larges bords. L'hiver il se protège du froid et de la pluie en se couvrant d'une grande cape de droguet ou de drap. Pour travailler il met autour du cou un foulard replié en pointe. La nuit il dort dans une chemise à long « paineu » (pan de chemise ) et se coiffe d'un bonnet à pompon. Son costume de mariage, un trois pièces de drap noir assorti d'une chemise blanche et d'une cravate (modèles différents selon les époques), doit en principe durer le plus longtemps possible, voire toute la vie. On ne le revêt qu'aux grandes occasions, fêtes carillonnées et cérémonies de famille. Malheureusement ce souhait de conservation ne se réalise pas toujours. Bien souvent le « vieux marié » a pris de l'embonpoint au cours des ans et un beau jour il se trouve boudiné dans son habit de jeune homme. Les retouches faites à la veste et au pantalon ne parviennent plus à maintenir le costume dans la décence. Il faut alors se rendre à l'évidence et acheter un nouvel habit qui redonnera à « notre homme » une tenue respectable et le mettra, oh ! prodige ! à la mode du jour, pour peu qu'il fasse aussi l'emplette d'une belle chemise et d'une cravate dernier cri.

(1) Connu depuis l'antiquité dans le bassin méditerranéen, le coton n'était utilisé qu'artisa­nalement jusqu'à la fin du XVIIIème siècle. C'était une matière de luxe. Cependant, dans la deuxième moitié de ce siècle, il existait déjà à Langres une filature de coton qui em­ployait plus de 600 fileurs et fileuses. Cette filature, la « maison Jourdain « , s'adjoignit une usine de tissage puis, avant la Révolution, une manufacture de « toiles peintes « . La Maison « Jourdain » occupait plus de 2500 ouvriers. (Source: La Haute-Marne de Marcel Henriot et de Paul Méjean).

(2) Casquette à pont: casquette dont le fond est plus ou moins rehaussé par un large ban­deau.


 

Les dimanches ordinaires et les jours de « petites sorties » (foires, visites à des membres de la famille et à des amis) le vannier endosse des habits neufs de travail. ceux que l'épouse prévoyante tient en réserve dans une armoire. Les convenances exigent que l'on se présente, en dehors du travail), dans une tenue propre et correcte. « Pauvreté n'est pas vice « , dit-on ! Mais la négligence et la malpropreté, vis à vis de ses semblables, sont de sérieux manquements aux règles du savoir-vivre.

Dés la fin du XIXème siècle, quelques vanniers, un peu plus aisés que les autres, adopteront les vêtements de velours côtelé et la nouvelle casquette mise en vogue par les adeptes de la bicyclette. Nombreux seront ceux qui choisiront  le célèbre « bleu de travail «  fabriqué par la « Maison Lafont » et vendu dans tous les bons magasins de vêtements. Enfin, luxe suprême, les sabots seront remplacés le dimanche par les « souliers à tige «  lacés jusqu'au dessus des chevilles.

Jusqu'à la fin du XIXème siècle les femmes, elles aussi, s'habillent très simplement. Les sous-vêtements, les cotillons et les jupons sont de toile (chanvre, lin et coton): les jupes, les camisoles et les caracos sont de toile, de tiretaine ou de droguet. Le tablier est en toile. A la belle saison, le corsage peut être d'étamine de différentes couleurs (tissu léger de fi) ou de laine). Les bas sont de fil, de coton ou de laine. Un peu de fantaisie est admise dans la coiffure. La coiffe de toile fine se présente ordinairement comme un bonnet. Pour les cérémonies, ce bonnet est garni de mousseline et bordé de dentelle ou de volants. Chez les « paysannes « le bonnet recouvre entièrement les cheveux remontés en chignon derrière la tête. Le fichu, dont elles s'entourent le cou et les épaules en le croisant sur la poitrine, est de tire-laine, de laine, d'étamine et parfois de dentelle; il représente un élément de coquetterie avec le châle et les sabots de bois décorés à la « rénette « . Les souliers fins et les bottines de cuir ne seront à la portée de la bourse des vannières que dans le dernier quart du XIXème siècle. Sur ses vêtements la femme endosse une « mante » brune, de bure. de tire-laine ou de drap. Ce long manteau ample sans manche, mais avec capuchon, la protège efficacement du froid et de la pluie.

La robe blanche  de mariée et le voile sont conservés religieusement dans le coffre de l'épouse. Celle-ci possède quelques robes de drap, de serge, de coutil ou « d'indienne « (toile de coton imprimée).

Les vêtements des enfants sont souvent taillés dans les vêtements trop courts des parents. Ils sont confectionnés par les habiles couturières que l'on trouve dans tous les villages.

Au début du XXème siècle s'amorce une évolution dans la tenue vestimentaire des femmes et des hommes. On délaisse certains vêtements classiques et on lève quelques « tabous «  pour mieux suivre la mode, sans crainte de faire scandale. Cette modification du comportement est duc aux progrès réalisés dans le domaine de l'agriculture et dans celui de l'industrie, progrès qui conduisent à une amélioration des revenus des travailleurs, des vanniers-osiériculteurs en particulier. Les jeunes femmes quittent le bonnet: le dimanche elles chaussent des bottines de cuir: elles portent des chapeaux originaux, enrubannés et emplumés, fabriqués par les « modistes » du pays; elles revêtent corsages et robes élégantes. Les hommes adoptent les souliers de cuir, le chapeau melon et le canotier en été: les plus modestes se contentent de la casquette et du chapeau traditionnel. Les garçonnets ont des culottes qui descendent jusqu'aux mollets et les fillettes des robes bordées de dentelles qu'elles portent fièrement le dimanche.

 

Mais c'est après la terrible guerre de 14-18 que le monde rural connaîtra une véritable révolution dans sa façon de vivre. Les Français, enfin libérés de leurs angoisses, grisés par une victoire chèrement payée hélas, croyant dans une paix durable, voudront, la jeunesse surtout, exprimer leur joie de vivre, leur espoir en un avenir meilleur. La période de prospérité matérielle qui succédera à cette catastrophe favorisera les aspirations les plus audacieuses. Au « Fayl«  les changements seront encore plus importants que dans les villages d'alentour. Le lancement d'une nouvelle industrie. « la fabrication de meubles en rotin », attirera nombre de jeunes vanniers convaincus que cette « modernisation »  de leur métier sera la garantie d'un avenir assuré, d'une vie


professionnelle moins pénible, plus agréable que celle connue par leurs parents et grands parents. Certains y trouveront, en plus, l'occasion de se libérer de « l’ autorité parentale »  et le moyen d'obtenir leur autonomie financière. En travaillant avec les parents ils sont nourris, blanchis et vêtus (pas toujours à leur goût), mais ne perçoivent qu'un peu d'argent de poche le dimanche ce qui limite parfois leurs clans de jeunesse.

 

Les personnes âgées resteront prudemment attachées à leurs coutumes, à leur manière de vivre. Mais la jeunesse acceptera vite les nouveautés, suivra avec enthousiasme les progrès matériels, les courants de la mode. Les revenus du travail allant en progressant sensiblement, on se sentira un peu plus à l'aise, ce qui favorisera la marche en avant dans un optimisme malgré tout raisonnable. Les femmes couperont leurs cheveux, quelques unes se coifferont « à la garçonne » : elles quitteront leur corset, opteront pour la robe courte, droite avec taille basse, mettront un chapeau « cloche »  sur leur tête, gaineront leurs jambes de bas fins  indémaillables et chausseront des souliers vernis à brides. Les hommes adjoindront à leur costume veston (droit ou croisé) le pardessus, les chaussures basses (modèle Richelieu) un chapeau mou (modèle Chicago) et des gants « beurre frais » (gants de peau de couleur jaune).

Cette période euphorique, soulignée par de nombreux divertissements, ne durera, hélas ! qu'une dizaine d'années; elle sera brutalement interrompue par la crise économique des années 1930.

N.B. Composition de quelques tissus. Toile: tissu simple de chanvre, de lin, de co­ton:

bure ; étoffe grossière de laine; droguet: tissu mélangé de laine, de fil ou de coton:

tiretaine: sorte de droguet, étoffe grossière de laine: coutil: toile serrée croisée de fit ou de coton; serge: tissu à côtes obliques de laine: drap: tissu de laine feutré: étamine: petite étof­fe mince, légère, de soie, de fil ou de laine:

flanelle: tissu de laine peignée peu serré:

 mous­seline: toile claire, très légère de coton, de soie ou de laine: indienne: tissu de coton impri­mé: calicot: toile de coton grossière; finette: toile de coton à envers plucheux; velours: étof­fe à poils courts et serrés de soie ou de coton;

linon et batiste: toiles de lin ou de coton très claires,

(références: vocabulaire de la langue française - 1827. Dictionnaire français de L.Pourret- 1881).

L'alimentation.

Durant des siècles et jusqu'au début du XXème le pain constitue la base de l'alimentation du Français. On mange du pain à tous les repas et pour ceux qui ne le fabriquent pas il représente 50 % des dépenses alimentaires. Au début du XIXème siècle, la moyenne de la consommation journalière, par personne, est proche du kilogramme (1) et l'on distingue encore plusieurs catégories de pain: le pain blanc de pur froment que l'on voit rarement sur la table des petites gens, qu'ils soient cultivateurs, artisans, ouvriers ou petits commerçants; le pain bis, mélange de farine et de son: le pain de méteil, mélange de froment et de seigle; le pain grossier ou pain d'orge. A la campagne beaucoup de ménages fabriquent leur pain. Taillé en « lèches » et trempé dans un bouillon ou dans du lait, il est le principal composant de la  soupe.(2) La « soupe »  est servie à tous les repas, matin, midi et soir. Pour la rendre plus consistante on y ajoute des légumes cuits au pot, on obtient alors un  potage  mais que l'on baptise toujours  soupe. On confectionne différentes « soupes »; il y a la soupe poireaux pommes de terre, la soupe aux choux, la soupe de potée, la soupe de  pot au feu  (un luxe); le bouillon gras provenant de la cuisson de la viande de bœuf est très apprécié quand il est accompagné de quelques légumes.

(1) La consommation de pain est réduite aujourd'hui au tiers, voire au quart.

(2) D'où l'expression «  tremper sa soupe «  .


 

Avec les vieux quignons de pain on fait des « panades «  (1) et avec le pain rassis « le pain perdu » un régal (2). Le petit déjeuner des enfants consiste en un bol de lait et du pain.

Le pain est sacré, on n'en perd pas une miette. Il est le fruit symbolique du travail: « gagner son pain à la sueur de son front « , dit-on ! C'est au père. au chef de famille que revient la mission d'entamer la miche et de tailler soigneusement les tranches, non sans avoir au préalable tracé dessus le signe de la croix avec la pointe du couteau; un témoignage de respect et de reconnaissance que l'on adresse au « Seigneur « selon une vieille coutume chrétienne et à laquelle on se conforme dans la plupart des familles. On prend soin aussi de toujours poser la miche sur sa face plate afin de conjurer le mauvais sort: un geste qui lui rappelle la survivance de certaines superstitions profanes, la crainte obscure des puissances surnaturelles.

 

Le développement de la culture de la pomme de terre, tout au long du XIXèmc siècle. apporte un complément alimentaire très apprécié surtout les années où les récoltes de céréales sont déficitaires. Peu à peu ce tubercule comestible prend une place importante, presque comparable à celle du pain, dans l'alimentation de l'homme. Elle intervient aussi avantageusement dans la préparation des pâtées destinées aux porcs et aux animaux de la basse-cour (3). On recherche, évidemment, les variétés à fort rendement qui ne possèdent pas toujours les meilleures qualités nutritives et gustatives. A la fin du XIXéme siècle on cultive principalement deux variétés:« l'Abondance de Metz » et « la Fin de siècle » .

La pomme de terre intervient aussi en supplément des légumes féculents comme les fèves, les féveroles, les pois, les lentilles et les haricots (flageolets, soissons, etc .). Les légumes racines, carottes, navets, panais, raves, et les choux, sont aussi très présents dans la cuisine familiale, ainsi que les salades, laitues et chicorées que l'on soigne particulièrement dans le potager. A tous ces produits tirés du potager et du champ, il faut ajouter les poireaux, les oignons, les échalotes, les aulx etc. et les assaisonnements divers, sans lesquels il n'y a pas de bonne cuisine (4).

Le potager a aussi ses petits éclats de lumière: quelques fleurs vivaces. peu exigeantes en soins, apportent ça et la leurs frais coloris. Pivoines, marguerites, gueules de loup. œillets de poètes, formeront les bouquets que les femmes iront déposer pieusement au cimetière sur les tombes des parents et des amis disparus.

 

Comme beaucoup de gens de la campagne, le vannier élève un porc. La viande et la graisse de cet animal contribuent à l'équilibre alimentaire (apport de protéines et de lipides). On achète le « goret » à la foire de la Saint-Clément ou à cette de la Chandeleur. On lui donne à manger des pommes de terre récoltées dans le champ, des résidus de céréales. du son. des débris de légumes, du petit lait, les eaux de vaisselle, éventuellement des fruits sauvages (glands, faines). Bien nourri le « monsieur «  atteint un poids respectable, en moyenne 100 kg. Vient le jour du sacrifice: un matin de décembre, quelque temps avant Noël. on procède à t'abattage de l'animal. Au « Fayl  et dans les villages des environs on flambe le cochon pour brûler ses soies, tandis que dans certaines régions on l'échaude pour mieux les racler. Ce procédé a l'inconvénient, selon certains, de ramollir les chairs. Vidée puis débitée méthodiquement, la bête fournit mille bonnes choses: les jambons et les jambonneaux, les côtelettes, les épaules, l'échine, le filet, les grillades et les rôtis et aussi les quartiers de lard. Tous ces morceaux de viande sont conservés dans le saloir, à la cave. Il reste encore la tête et les pieds, les abats qui, bien préparés, sont un régal: la cervelle, le foie, le fromage de tête, le boudin, les andouillettes. etc. N'oublions pas te saindoux que l'on conserve précieusement dans des pots de grés: il remplacera le beurre dans l'alimentation et servira d'onguent à certaines occasions.

(1) Panade: pain émietté. bouilli dans l'eau avec du beurre et parfois, en plus. un jaune d’œuf ou du lait.

(2) Pain perdu: tranches de pain rassis trempées dans un mélange de lait, d’œufs et de beur­re: le tout cuit au four.

(3) La culture de ta pomme de terre au « Fayl « : partant de 20 hectares en 1794, elle s'élève­ra à 60 hectares en 1856 et à 110 hectares en 1896.

(4) La culture des salades, des cornichons et concombres, des tomates, des haricots  verts  et de quelques légumes rares, ne sera pratiquée, jusqu'au milieu du XIXème siècle!c. que par les maraîchers des villes et les jardiniers des maisons bourgeoises.


La potée est au menu de tous les jours. Copieuse à l'automne avec l'abondance de légumes frais, elle est plus modeste au début du printemps quand il ne reste dans les réserves que des légumes secs et de vieilles pommes de terre. Maigre aussi, elle devient, quand le lard diminue dans le saloir. Certains dimanches, pour rompre la monotonie des repas quotidiens, on fait une ou deux victimes parmi les habitants de la basse-cour. Il n'y a pas de « vrai » repas sans un pot-au-feu; on le sert après le potage (toujours présent) et avant le rôti. La daube, bien mijotée, prend aussi, peu à peu, sa place dans les menus de fête. On n'achète que très rarement de la viande de boucherie, bœuf et veau sont un luxe. Le veau n'est présent sur les tables paysannes et ouvrières qu'aux repas de noces. Au début du XXème siècle, on commencera seulement à fréquenter un peu plus régulièrement l'étal du boucher (1). Les œufs sont très appréciés; ils remplacent souvent la viande et entrent aussi dans la préparation de nombreux mets.

On consomme très peu de beurre, il est trop cher pour les petites bourses. Les fermières en font une source de revenu; elles le vendent au marché ou aux consoniers qui le ramassent avec les œufs dans les fermes.

 

Situé au carrefour de quatre provinces, Fayl-Billot a hérité tout naturellement de certaines coutumes et de recettes culinaires provenant des différents terroirs qui l'entourent.

La crème entre dans la préparation de beaucoup de mets; elle apporte le petit supplément qui flatte le palais. La ménagère la prélève précautionneusement à la surface du lait frais qui a reposé toute la nuit dans une jatte. On mange beaucoup de fromage blanc que l'on fabrique à la maison avec le lait acheté chez un ami cultivateur, celui avec qui on échange des services.

A l'automne, à partir du mois de septembre, la ménagère fabrique les fromages blancs qu'elle fait sécher doucement dans une « chazière «  d'osier suspendre dehors sous abri. Soignés régulièrement en cave, salés, lavés, enveloppés dans des feuilles de vigne ou de platane, ils mûrissent lentement, deviennent onctueux et prennent une belle teinte dorée. On en mange tout l'hiver. Comme « le Fayl »  est proche de la Franche-Comté on connaît aussi la « cancoillotte » (fabriquée maison ) et les « gaudes » , une bouillie de farine de maïs grillé délayée dans du lait (le maïs est appelé blé de Turquie ou blé d'Espagne) La quiche lorraine entre aussi dans la composition des menus.

En hiver on fait « les gaufres » à l'occasion d'un fête ou d'une veillée que l'on organise avec des amis et des voisins. Molles ou sèches ces petites gourmandises campagnardes sont cuites à l'âtre et font les délices des convives. Elles resteront dans l'avenir, avec la tarte, la brioche, les crêpes et les beignets, des desserts traditionnels que l'on retrouvera toujours avec plaisir.

Les fruits tiennent également une place de choix dans l'alimentation; fruits cultivés et fruits sauvages sont très appréciés. Au début du XIXèmc siècle les vergers sont peu nombreux ,(2) mais chaque maison possède au fond de son jardin quelques arbres fruitiers: pommier, poirier, prunier, cerisier, cognassier, noyer, groseilliers (3). On ne néglige pas les fruits sauvages et leur cueillette fait partie des divertissements auxquels participent les enfants; cueillette des fraises des bois, des mûres, des framboises, des noisettes, des nèfles, etc. Pour prolonger la conservation de certains fruits on les fait sécher au soleil ou dans un four à pain.

(1) En 1896, il y avait trois bouchers à Fayl-Billot.

(2) Vergers: on dénombrait au « Fayl » 16 ha de vergers en 1836 et 45 ha en 1911

(3) Les principales variétés de fruits cultivés étaient les suivantes:

Pommes; Transparente blanche, Bandon, Auberive, Grillot, Calville, Rambour, Reinette

grise. Président Mougeot, Grand Alexandre.

Poires: de Curé, des Moissons, Rousselet de Reims, Calouët, Docteur Guyot, Louise Bonne, Conférence.

Prunes : Patrigone, Damas, Coco jaune, Madeleine, Quetsche.

Cerises : Guigne, Aigre et Aigre-douce,Cœur de pigeon.

On notera que certaines appellations peuvent n'avoir qu'une valeur locale.


Les pommes découpées en quartiers deviennent des « chochons » (1) et les prunes de délicieux pruneaux. Les cerises aigres sont conservées dans l'alcool. Avec les groseilles, les fraises, les framboises, les mûres, les coings, on fait de la confiture, avec les pommes et les poires, des compotes.

Les fourneaux en fonte apparaissent dans les maisons modestes après 1870. Ils rendent de grands services, facilitent la cuisson des aliments, la confection des pâtisseries cuites au four et la dessiccation des fruits. Aux différentes pratiques traditionnelles de conservation, salaison, fumage, dessiccation, vient s'ajouter le procédé de « stérilisation » qui permettra de cuire et de conserver certains fruits et légumes dans des bouteilles et des bocaux de verre hermétiquement fermés. Beaucoup plus tard on aura recours à la « congélation ».

Jusqu'au milieu du XIXèmc siècle, avant l'arrivée du chemin de fer, les gens des campagnes éloignées de la mer ne connaissent que les poissons d'eau douce. Pour manger du poisson il faut être propriétaire d'un étang ou avoir l'autorisation d'y pécher, ou plus simplement habiter à proximité d'une rivière, un privilège que les gens du « Fayl » n'ont pas. La rivière la plus proche est l'Amance et pour y pêcher couramment le vannier devra attendre de pouvoir s'offrir une bicyclette. Les seuls poissons de mer connus sont les harengs et la morue, salés, sèches ou fumés. Ces poissons conservés dans des tonnelets sont vendus pour quelques « sous » chez l'épicier: ils figurent sur la table du paysan et de l'ouvrier généralement le vendredi « jour maigre » pour ceux qui observent les préceptes de la religion chrétienne.

Chez les « petites gens », l'eau est la boisson habituelle: elle n'est pas toujours parfaitement potable surtout quand elle provient de certains puits mal environnés (tas de fumier proches). Fayl-Billot n'étant pas un pays vignoble, le vin est plutôt rare sur la table du vannier. Quand celui-ci veut égayer un jour de fête et soigner dignement ses convives, il achète un produit des coteaux de l'Amance. Quelques bouteilles « millésimées » (années exceptionnelles) sont mises en réserve; on ne les débouchera que les jours fastes. Les vins provenant du midi de la France et d'Algérie, en vente chez les négociants du pays, n'entreront couramment dans la consommation familiale qu'au XXème siècle.

On remplace le vin par la « piquette » que l'on fabrique avec des pommes, des poires de moindre qualité, des groseilles et des fruits sauvages ramassés dans les bois et les friches: prunelles, alises, etc. Quand le porte-monnaie le permet, on ajoute un peu de sucre au mélange de fruits afin de réduire son âpreté. Les fruits broyés sont mis dans un tonneau que l'on remplit d'eau ensuite. On remue tous les jours la matière à l'aide d'un bâton introduit dans le tonneau par la bonde. Au bout de quelques semaines on obtient, après fermentation, une boisson aigrelette, rafraîchissante, que l'on tire dans un pichet en prenant soin de recharger, chaque fois. avec la même quantité d'eau. Le résultat est supérieur en qualité quand on peut y ajouter des marcs de raisin et faire un petit « râpé ».

L'agrandissement et la multiplication des vergers au XX ème siècle, permettra de développer la culture des arbres fruitiers et en particulier celle des pommiers à cidre.

(1) Chochons: mot dérivé du patois « choche », qui veut dire séché.


La bière sera considérée pendant longtemps comme une boisson de luxe. On ne la déguste, en général, que dans les cabarets et les auberges, et cela malgré la présence de deux brasseries à Fayl-Billot.

Jadis il y avait deux brasseries à Fayl-Billot:

- 1° La plus ancienne, la brasserie Chevallier-Vosgien fondée avant 1840, était située rue de la Perrière (aujourd'hui n° 32). En 1840, elle était louée et exploitée par Pierre Florent Brocard originaire de Côte-d'Or. Cette brasserie changea plusieurs fois de propriétaire. En 1862, elle fut vendue à Auguste Hauser, un alsacien garçon bras­seur à Fayl-Billot. En 1874, elle devint la propriété de Mme Vve Pierre Florent Bro­card et de son fils Paul.

-2° La brasserie Pierre Florent Brocard, fondée par son propriétaire vers 1853, installée dans la Grande Rue de Fayl-Billot (Maison Rolée au n°25). A Florent Brocard suc­céda son fils Paul, puis ses deux petits fils Jules et Félix Brocard qui continuèrent de fabriquer de la bière jusqu'en 1931. A partir de cette date et jusqu'en 1956, la Mai­son Brocard devint entrepositaire des bières de Humes, puis de Vezelise. (embou­teillage et vente).

Source: Patrimoine de Fayl-Billot. Exposition de l'office de tou­risme en juin 1997.

 

Dans chaque maison on fabrique eaux-de-vie et spiritueux, avec plus ou moins de savoir et de bonheur ; il y a les « gens habités « et les « malchanceux » ! On distille (on brûle) prunes, pommes, poires, cerises, prunelles des buissons et marc de raisin quand on possède une vigne. Les femmes confectionnent divers apéritifs et liqueurs « digestives »: vin de cerise, vin de groseilles, brou de noix, liqueur d'angélique, de prunelle, de cassis, d'estragon, de framboise, etc. produits de macération et de savants dosages, recettes que l'on se transmet de bouche à oreille.

Au XIXème siècle, le café et le chocolat sont des denrées chères que beaucoup de familles ne peuvent s'offrir. La consommation du café ne débutera que vers la fin du siécle, très modérément, et souvent on mélange avec de la chicorée. Le café au fait deviendra progressivement le petit déjeuner des femmes et des enfants. On économise le sucre; il est acheté chez l'épicier qui l'extrait en morceaux inégaux d'un pain conique, à l'aide d'une pince appropriée.

L'épargne.

Au XIXème siècle et encore au XXème, les vanniers, comme la plupart des gens, vivent de l'épargne. C'est pour eux le seul moyen de se prémunir contre les grands maux tant redoutés: la maladie, l'accident, la vieillesse et toutes les calamités possibles. Les premières assurances incendies, créées au XVII ième siècle, ne se développent qu'au XIXème de même les assurances, les mutuelles, contre les accidents et les maladies. Les Caisses de retraite ne sont fondées qu'à partir des années 1880 et au début du XXème siècle. Autant dire que jusqu'au début du XXème siècle, les gens peu fortunés ne peuvent compter que sur leur sagesse et sur la solidarité publique dans les cas extrêmes de dénuement. La prudence, le sens de la mesure dans les dépenses, la prévoyance, sont les vertus nécessaires à une bonne gestion ménagère.

 En économisant sur tout on parvient à constituer une petite réserve, à « mettre un peu d'argent de côté » selon un expression familière. Cette partie du revenu qui n'est pas sacrifiée à la consommation , convertie en pièces sonnantes et trébuchantes (parfois en or), est précieusement conservée, accumulée peu à peu dans le         « bas de laine ». ou plus justement, dans « la chaussette »  pourrait-on dire ! Au XIXème siècle, la monnaie a une valeur à peu près stable et l'on ne craint pas encore les effets néfastes des inflations qui provoqueront, au XXème siècle, des érosions monétaires successives, affligeantes pour tes petits épargnants. On arrondit la           « gauyeute » (en patois du Fayl) en bannissant le gaspillage. On économise sur la nourriture, sur l'habillement, sur tout le matériel, l'outillage, le mobilier. On répare, on entretient, on raccommode beaucoup « on fait durer » . Dans les vêtements trop courts ou usagés, on récupère ce qui est encore utilisable, pour rapiécer, ravauder des habits de travail.


Les « bas de laine » , produits de J'épargne spontanée individuelle, représentent une partie très importante de la masse monétaire mise en circulation. Pour réduire cette thésaurisation infructueuse, sont fondées au XIXème siècle) les Caisses d'Epargne et de Prévoyance, souvent sur l'initiative des Municipalités. La Caisse de Fayt-Billot est créée officiellement le 27 janvier 1877. Elle est gérée par un président et un vice-président, douze directeurs-administrateurs et un caissier. Les Caisses d'Epargne donnent la faculté aux épargnants de placer leurs économies en toute sécurité et de les faire fructifier. Elles connaissent un certain succès car elles versent des intérêts annuels (3 %) qui. s'ils ne sont pas retirés, s'ajoutent au capital placé et le font grossir (intérêts composés). Le compte ouvert à chaque épargnant ne peut cependant dépasser une certaine somme (1.500 F. en 1881). Enfin, le titulaire du carnet de placement dispose à tout moment de son argent et peut opérer des retraits selon ses besoins.

Cette gestion raisonnée, basée sur l'épargne, pratiquée par presque toutes les familles. se relâchera peu à peu après la guerre de 1914 par suite d'une amélioration sensible du pouvoir d'achat. D'autre part, la possibilité de contracter des assurances sera aussi un moyen, pour ceux qui le désireront, de se protéger, en partie, contre l'adversité. Toutefois. l'épargne restera pour certains. un réflexe sécurisant; mais les inflations successives et l'ouverture du crédit, parviendront peu à peu à atténuer ce comportement viscéral.

 

Documents annexes

XLII à XLIII   Représentations de maisons de vanniers

Sources de documentation

« La mort et les hommes en Haute-Marne au XIXème siècle ». Jean-Louis Maigret 1987. « La Haute-Marne «  - Marcel Henriot et Paul Méjcan - 1959. « Vocabulaire de la langue française » - 1827. « Dictionnaire français «  L. Pourret - 1881.

- Archives communales.

- Mémoires de vieux vanniers.

- Patrimoine de Fayl-Billot -Etude réalisée par les élèves du collège des « Trois Provinces )) sous la conduite de monsieur Marcel Aubertin. Exposition à l'office de tourisme, juin 1997.

Bibliographie Ouvrages conseillés sur la vie d'autrefois à la campagne:

« Le pain au lièvre » - Joseph Cressot - Reédition de 1952 - Le Républicain Lorrain à Metz.

« Le Jean du Bois «  - du même auteur - 1950 - Librairie Stock.

« Les Bassignots «  - Robert Collin - 1968 - Imprimerie Dominique Gueniot à Langres.

« Les veillées Bassignottes » - du même auteur - 1975 - Imprimerie S.LD.E.C. à Chaumont.

« La lampe Pigeon »       -      id      - 1973              id

« Un homme et son terroir «  Albert Demard et J.C. Demard - 1978 - Editions Joël Guénot..

« La saga du Haut-gué «  Jean-Christophe Demard - 1987 - E.R.T.L éditeur.

« Les saisons » Jean Robinet - 1980 - Editions Serpenoises à Metz.

« Poils et panaches » - du même auteur -  1975 - Le Républicain Lorrain à Metz.

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