FAYL - BILLOT AU COURS DES SIECLES

VANNIERS DE FAYL - BILLOT , DE BUSSIERES ET D'ALENTOUR

DU TEMPS PASSE A NOS JOURS

SOCIOLOGIE

La vannerie est souvent considérée comme une profession désuète, voire curieuse aux yeux de certains profanes acquis sans réserve aux grandes technologies du temps présent et du futur. On oublie souvent, et on ignore parfois, que la vannerie avait jadis une réelle importance. Durant plus d'un siècle, du milieu du XÏXème au milieu du XXème, elle fut l'une des principales composantes de l'économie locale avec l'agriculture.

 

Les gens qui vivaient directement de la vannerie et de la culture de l'osier représentaient, à certaines époques, près de 50% de la population totale de Fayl-Billot et de Bussières-les-Belmont.

 

Il serait donc injuste de terminer l'histoire de ce vieux métier sans parler de ses principaux acteurs, de tous ces braves gens modestes et courageux qui, malgré la dureté des temps et les difficultés rencontrées pour vivre du fruit de leur travail, surent toujours tenir leur place dans la société locale et inspirer le respect. Aujourd'hui encore, la vannerie reste présente dans le concert des métiers d'art. Mais les vanniers du XXIème siècle auront à résoudre bien des problèmes dont l'un des principaux sera de savoir répondre aux désirs d'une clientèle exigeante, constamment en quête de choses nouvelles, d'innovations, de « produits originaux de grande qualité ».

Les vanniers du temps passé, qui étaient-ils ? Comment travaillaient-ils ? Quelles étaient leurs ressources et comment vivaient-ils ? Quelle place tenaient-ils dans la société locale ? A toutes ces questions qui se pressent sur nos lèvres nous allons essayer d'apporter des réponses, aussi précises et aussi imagées que possible, en puisant dans les écritures, dans les témoignages recueillis et en réveillant les souvenirs que les « anciens » nous ont légués.

LE METIER DE VANNIER DU TEMPS JADIS A NOS JOURS

Autrefois, la vannerie se présentait comme une activité que l'on pouvait exercer à « temps plein » ou à       « temps partiel » (activité d'appoint). Aujourd'hui, par suite de la mise en application de la loi du 12 décembre 1979 concernant les « pluriactivités », on ne distingue plus que deux catégories de vanniers travaillant à temps plein:

- L'osiériculteur-vannier qui récolte de l'osier et le transforme en produits finis de vannerie. Ce vannier      bénéficie du régime d'exploitant agricole sous réserve qu'il cultive au minimum 50 ares d'osier.

- Le vannier artisan inscrit sur le répertoire des métiers, considéré comme travailleur indépendant. Ce vannier achète l'osier qu'il travaille.

 

Au début du XXème siècle et au cours des années 1940 à 1970 il existait à Fayl-Billot des fabriques de vannerie qui employaient des ouvriers; ces salariés travaillaient à domicile ou dans les ateliers des entreprises.

 

Jadis il était très difficile de situer avec précision la place du vannier parmi les travailleurs ruraux. Le vannier de la campagne représenta durant des siècles le type même de « l'artisan-paysan ». Le vannier « aisé » produisait sa matière première, « l'osier »; il cultivait un potager, entretenait un verger et possédait aussi quelques parcelles de champ; il élevait une basse-cour, un porc et quelquefois une vache. Secondé par son épouse dans ses multiples activités et par ses enfants dès que ceux-ci atteignaient l'âge d'apprendre à se servir des outils familiers, le vannier pouvait ainsi assurer la subsistance de la famille. En pratiquant le système d'autarcie alimentaire il parvenait à gagner une certaine indépendance et une « relative » sécurité matérielle que la maladie ou l'accident pouvait malheureusement ébranler subitement. Les régimes d'assurances n'existaient pas encore au XIXème siècle; ils étaient remplacés partiellement par « l'entraide, un engagement moral et matériel. En ce temps là, les gens de condition modeste se savaient solidaires; on portait assistance à celui ou à ceux qui étaient frappés par le malheur.

 

 

Dans les siècles passés bon nombre de vanniers ne parvenaient pas à obtenir, ou n'obtenaient que partiellement, cette petite « aisance » matérielle. L'ambition du vannier courageux et prévoyant était d'abord d'acquérir un toit, si modeste soit-il (une maison), de posséder une oseraie, puis dans la mesure du possible quelques lopins de terre et le petit bois qui lui permettait de se « pourvoir » librement de baguettes de coudrier et d'autres tiges d'arbres indispensables à la confection de certaines vanneries .La récolte des « menus produits » forestiers pouvait aussi se faire dans les bois communaux, mais avec l'autorisation expresse des Maires des communes et de l'administration des Eaux et Forêts. Les gardes forestiers qui avaient (et ont toujours) la surveillance des bois se montraient particulièrement vigilants et poursuivaient les contrevenants.

 

Ce « bien-être », le vannier ne l'atteignait généralement que vers l'âge de cinquante ans après de longues et dures années de labeur et de privations. Privilégié était celui qui pouvait disposer d'un petit patrimoine, fruit d'un héritage ou d'un apport à la communauté entre époux. A la faveur de la progression de leurs revenus, à partir des années 1870, presque tous les vanniers parvinrent à la fin du XIXème siècle et au début du XX ème à acquérir une parcelle de terre pour cultiver de l'osier. La superficie « moyenne » de l'oseraie familiale correspondait, à cette époque, au « journal » ou à la « fauchée « , soit respectivement et approximativement au tiers et au quart d'un hectare :« Au Fayl », le « journal » équivalait à 34,28 ares et la « fauchée » à 28,72 ares. A Bussières, la « fauchée » correspondait à 25,85 ares.

 

 

Quelques vanniers n'exerçaient le métier qu'à temps partiel, par exemple les cultivateurs et les manouvriers qui durant l'hiver fabriquaient des paniers. On voyait aussi des vanniers devenir des « barbiers-coiffeurs «  le dimanche, ou exercer d'autres activités d'appoint : bouilleur de cru, appariteur, etc. Ce système d'alternance d'activités ne posait pas, autrefois, de problème fiscal et n'entraînait pas le versement de multiples cotisations sociales.

Le vannier-osiériculteur avait recours à un ami cultivateur pour effectuer ses charrois d'osiers et de bois (affouages) et pour labourer son champ de légumes. En retour il aidait le cultivateur à la saison des foins et des moissons et pendant la récolte des légumes et des fruits. On échangeait des services, on s'entraidait et l'on faisait les comptes à la Saint-Martin, ou à la Saint-Clément à Fayl-Billot.


Les vanniers, comme beaucoup de travailleurs manuels indépendants, n'étaient pas soumis à des règlements professionnels sauf s'ils appartenaient à une « corporation « , ce qui était souvent le cas dans les villes avant la Révolution de 1789. Ils devaient alors observer ces règlements et subir les contrôles et éventuellement les sanctions infligées par les « jurandes » et les « maîtrises «  . Toutefois les vanniers ruraux qui colportaient leur marchandise pour la vendre à domicile ou sur les marchés et les foires, devaient acquitter un droit de passage pour franchir un pont et pénétrer dans une ville (le péage sous l'Ancien Régime).

Ce droit fut remplacé par une taxe municipale établie sur les marchandises transportées, taxe payée à l'entrée des villes (l'octroi). A partir de la Révolution, toute personne exerçant des actes de commerce fut soumise au régime de la « patente « , un impôt direct versé annuellement. Depuis 1936 l'inscription sur le répertoire des métiers est obligatoire pour tous les artisans et les entrepreneurs.

 

Les vanniers sont aujourd'hui assujettis à deux régimes fiscaux différents selon qu'ils sont « artisans » (travailleurs indépendants) ou « osiériculteurs-vanniers » (exploitants agricoles). Ils sont affiliés obligatoirement aux régimes des assurances maladie, accident, invalidité, vieillesse et allocations familiales.


On distinguait :

- Les vanniers-mandeliers. fabricants de vanneries «en plein » de forme ronde ou ovale : mannes et corbeilles diverses, berceaux, bannetons, etc. Au « Fayl » on dit que ces vanniers « taquent l'osier » (font un tressage serré).

- Les vanniers fabricants de vanneries « en plein » de forme carrée ou rectangulaire : malles de voyage, valises, paniers à linge, huches à pain, etc. Ces vanniers sont aussi des « taqueurs ». A noter que la fabrication de ces articles ne se généralisera dans la région de Fayl-Billot qu'au XXème siècle.

- Les vannier-faissiers. fabricants de toutes sortes de vanneries « ajourées » : clayettes, cages à oiseaux, paniers et corbeilles légères, berceaux, etc. Ce genre de vannerie deviendra la spécialité des vanniers bussiérois.

- Les vanniers (vannières) fabricants de vanneries fines en « plein » ou « ajourées »:corbeilles à pain et à fruits, paniers à provisions, paniers de pêche, etc. Ces petites vanneries sont tressées sur des formes de bois (les moules); elles sont généralement l’œuvre de mains féminines.

 

Dans la profession se manifestent parfois quelques rivalités. Les « vanetiers » (fabricants de vans), les «cabassiers », les « bottiers », constituent le groupe de vanniers le plus ancien de la région. Ils en sont fiers et se considèrent un peu comme les détenteurs du « vrai savoir » en vannerie. Cette prééminence est bien entendu contestée par les autres vanniers apparus un peu plus tard, si l'on en croit certains historiens. La concurrence engendre une émulation, chaque camp voulant défendre son « honneur » !

Ce « duel cordial » se traduit tout bonnement par quelques échanges de quolibets et l'attribution réciproque de sobriquets. Les fabricants de vans et de cabas sont surnommés « les Bombés » en raison de l'attitude bossue qu'ils épousent en travaillant (1), tandis que les autres vanniers sont baptisés « les Aplatis ». Mais cet antagonisme de surface, pas bien méchant, n'empêche pas les vanniers de se réunir pour fêter ensemble Saint-Antoine. De concert, ils rompent la brioche et boivent le vin chaud après la messe et entonnent en choeur la chanson dédiée à leur Saint Patron.

 

Les fabricants de vans et de cabas habitent presque tous dans les vieux quartiers du « Fayl »:

rue Reby, rue du Vau, rue de l'Eglise (l'ancienne), rue de la Perrière, rue du Château. En parcourant ces rues, tôt le matin, on entend dans la douceur du jour naissant le bruit sourd et rythmé des « closoirs » de fer frappant l'osier : fia, fia... fia, fia...d'où le surnom de « Flâflâ » donné à ces vanniers.

Les positions du vannier au travail

Habituellement le vannier travaille sur un plancher surélevé de 10 à 15 cm. qui l'isole du sol. Les dimensions de ce plancher sont approximativement les suivantes : 150 cm. de longueur, 130 cm. de largeur. Un coussin ou un fond de siège paillé donne un peu de confort à cette assise rustique; elle sera remplacée au XXème siècle par une sorte de banc de bois comportant un casier ou un tiroir conçu pour le rangement du petit outillage. Le vannier a devant lui un petit établi de bois, nommé « sellette », dont la hauteur varie avec le genre de vannerie à fabriquer. Le dessus de cet établi est incliné. Une « broche » de fer (sorte de gros poinçon) plantée dans le plateau de la « sellette », en passant au travers du fond du panier, fait office de pivot et permet la rotation de l'objet au fur et à mesure de la progression du tressage. Quand il s'agit d'une vannerie de grande dimension, la « broche » est remplacée par un bloc de métal ou par une grosse pierre. Certaines fois le vannier maintient l'objet entre ses jambes: tressage d'une corbeille ronde par exemple. Souvent le vannier porte un tablier de grosse toile et la plupart du temps il est chaussé de sabots.

Les fabricants de « vans » et de « cabas » n'utilisent pas la « sellette ». Ils travaillent le dos courbé, le pied gauche posé dans l'objet en cours de fabrication et le genou plié contre la poitrine; quant au genou droit il prend appui sur le plancher (voir le livre de Daniel ELOUARD, page 39 : le fabricant de vans au travail). Une attitude qu'ils gardent souvent toute leur vie. - Jadis les sobriquets étaient distribués avec largesse !


La position du vannier varie donc selon l'objet à fabriquer et la progression du travail. Certaines positions sont très fatigantes voire pénibles; elles provoquent à la longue des rhumatismes et des déformations de la colonne vertébrale, principalement chez les « vanetiers » et les « cabassiers ».

L'outillage.

L'outillage classique du vannier est assez simple. Au XXème siècle il est encore à peu près le même qu'au XVIIIéme (Planches de l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert). II se compose :

- d'une « serpette » à lame droite en acier.

- d'un petit « épluchoir ». (« l'émondoir » ou « l'émondeu » en patois du Fayl).

- d'une « batte » en fer aciéré avec manche simple pour tasser l'osier de « clôture ».

- d'une « batte », aussi en fer, avec manche terminé par un anneau (l'anneau est utilisé pour redresser les baguettes de coudrier, de châtaignier, etc.).

- d'un « fer à clore » ou « closoir », sorte de « batte » arquée, plus légère que les précédentes, (outil utilisé par les « cabassiers » et les fabricants de vanneries « ajourées »).

- d'une série de « poinçons » de différentes grosseurs et longueurs.

- d'un « fendoir » de bois servant à diviser les baguettes d'osier en trois ou quatre parties.

- d'une « pianette » conçue pour amincir les «quartiers » d'osier et les réduire à l'état « d'éclisses ».

- d'un « équarrissoir » permettant de régulariser la largeur des « éclisses ».

- de diverses « broches ».

- Un « sécateur » complète la panoplie.

Cet instrument nouveau, inventé paraît-il à la fin du XVIIIéme siècle ,n'est fabriqué industriellement qu'à partir du milieu du XIXème dans les usines de NOGENT (Haute-Marne). La production se fait en série par estampage et découpage du métal. Très tôt les vanniers sont intéressés par cet outil qui leur permet de trancher avec facilité les tiges d'osier. Leur choix s'arrête tout d'abord sur deux modèles:

- Le « sécateur VIGIER » avec ressort à pincette.

- Le « sécateur à branches creuses » avec ressort à boudin (dit comtois).

On attribue l'invention du « sécateur » à deux personnages sans réellement savoir qui des deux a conçu le premier cet outil :

- Le marquis Bertrand de MOLLEVILLE (à la fin du XVIIÏème siècle ?). (Référence : La coutellerie depuis l'origine jusqu'à nos jours par Camille PAGE -1896).

- ou Edmée REGNIER, mécanicien des Etats de Bourgogne, décédé à Paris en 1825 ?

(d'après l'almanach Bourguignon de 1991). A l'origine le « sécateur » était utilisé pour la cueillette des fleurs et pour vendanger.

(Référence : La coutellerie nogentaise au XIXème siècle par Philippe SAVOURET -1983).


 

Au XXème siècle, les vanniers achèteront différents modèles de sécateurs aux formes mieux étudiées et d'un usage plus pratique.

Dans l'atelier du vannier on voit aussi divers outils destinés à des métiers du bois : la scie ordinaire à main, la scie égoïne, le vilebrequin avec ses mèches à bois (il sera remplacé avantageusement par la perceuse électrique), le banc de planage du tonnelier avec différents modèles de planes, des marteaux et des tenailles...

Le « vanetier » et le « cabassier » utilisent quelques outils spéciaux pour fendre les rondins de chêne de 15 à 20cm. de diamètre et de 40 à 60 cm. de longueur, et pour façonner dans ce bois les lamelles souples, appelées « côtes », qui formeront l'armature de leurs vanneries. Ces outils sont :

la « serpe à refendre » en fer aciéré (la « fendesse »), le « maillet » de bois, le « départoir », l'outillage du chaisier), la « cabasse » (ou « bécasse ») sorte de crochet de fer, et la « tire » (la « tireuse »); ces deux derniers outils servent à border les vans et les cabas.



Certains fabricants possèdent une chaudière en fonte, fabriquée à FARINCOURT, dans laquelle ils font cuire les bois grossièrement refendus afin de pouvoir les débiter plus facilement en lamelles (préparation des côtes).

Pour mesurer paniers et corbeilles, les vanniers se servent d'une baguette de bois (la « pige «  ou d'une règle graduée, d'un côté en centimètres et de l'autre en « pouces «  (ancienne mesure de longueur).

Quelques vanniers utilisent une auge en bois pour mettre leurs osiers à tremper avant de les travailler. Cette auge rustique sera remplacée au XXème siècle par une auge en tôle galvanisée fabriquée industriellement pour les agriculteurs. « Au Fayl » et à Bussières les auges personnelles sont assez rares car les vanniers disposent, dans leur village, de bassins et d'abreuvoirs de pierre en nombre suffisant.

On remarque aussi, pendus aux murs de l'atelier, quelques gabarits de fer et de bois et parfois, sur une étagère, des « formes «  de bois (les « moules ») sur lesquelles sont confectionnées les petites vanneries : corbeilles à pain, paniers à provisions, paniers de pêche, etc.

 

Les deux outils mécaniques spécialement fabriqués pour la préparation des osiers ne sont pas présents chez les vanniers haut-marnais. Il s'agit de la « fendeuse » et de « l'éclisseuse ». A le fin du XIXème siècle et au début du XXème « l'éclisseuse » est fabriquée en de nombreux exemplaires par son inventeur Mr DRUBIGNY mécanicien à HIRSON (Aisne). Elle est couramment utilisée dans la région d'ORBIGNY-EN-THIERACHE, capitale de la vannerie fine française .Elle ne sera introduite en Haute-Marne qu'un peu avant la guerre de 1914 par l'Ecole de Vannerie. Cet Etablissement sera pendant assez longtemps le propriétaire du seul exemplaire visible dans la région. Après la seconde guerre mondiale un mécanicien-constructeur. Mr TAVERNIER de VIRE-EN-MACONNAIS   (Saône et Loire). entreprendra à son tour la fabrication de ces deux outils particuliers très recherchés par les vanniers.

N.B. Les outils tranchants, départoirs, serpes à refendre, serpes osiéricoles, serpettes vannières, épluchoirs, planes, planettes et équarrissoirs, étaient fabriqués par des couteliers et des taillandiers de : BOURBONNE-LES-BAINS, BIESLES, CELLES-EN-BASSIGNY, COIFFY. DAMPIERRE, DAMREMONT, DAMPARIS (près de MARCILLY), FAYL-BILLOT, HORTES, LANGRES, LANNES, MARCILLY-EN-BASSIGNY, NOGENT, PRESSIGNY. PRAUTHOY, ROLAMPONT, SERQUEUX, VARENNES-S-AMANCE, VICQ, VOISEY.

Les principaux industriels nogentais fabricant des sécateurs pour les vanniers étaient les suivants: les FORGES DE COURCELLES, les Ets OBRIST-ETIENNE, FLORENTIN et SERBOUCE, THUILLIER-LEFRANT.

Les forgerons et les maréchaux-ferrants des villages vanniers fabriquaient les battes, les fers à clore, les cabasses, les poinçons...

« Pour en savoir plus sur l'outillage du vannier et son utilisation, sur les techniques de travail et les modèles de vannerie, consulter le manuel - « LA VANNERIE, L'OSIER » - de R.DUCHESNE, H. FERRAND, J. THOMAS. Editions BAILLIERE à PARIS. Nouvelle réédition 1997 publiée, avec l'autorisation des Editions BAILLIERE, chez Dominique GUENIOT. Editeur Imprimeur à SAINTS-GEOSMES 52300 LANGRES »

Les qualités gestuelles du vannier.

Tel le potier modelant l'argile pour en obtenir des objets utilitaires ou décoratifs, le vannier tresse l'osier et le façonne avec pour seuls guides ses mains et sa vision précise des formes et des volumes à obtenir. II doit associer précision et dextérité, c'est-à-dire « faire vite et bien » dans le temps relativement court où l'osier assoupli, après un séjour préalable dans l'eau, accepte de se plier à sa volonté. De ses mains agiles il fabrique des fonds et élève des parois de corbeilles et de paniers, ourle des cordons et des bordures, érige des anses et des poignées. Les gestes sont précis, éprouvés et efficaces.

A le voir dominer ainsi la matière d’œuvre avec autant d'aisance on pourrait imaginer que la vannerie est un exercice facile, un métier accessible à toutes les mains: ce serait commettre une profonde erreur


 

La « maîtrise » en vannerie, comme dans beaucoup de métiers manuels, requiert des dispositions particulières, tant physiques qu'intellectuelles : d'abord une grande habileté des mains, une volonté affirmée, une persévérance et une assiduité à l'ouvrage à toute épreuve, enfin en plus, une longue pratique. En vannerie, le travail n'est pas rémunéré à l'heure ou à la journée, mais aux « pièces ».

En général le vannier, même s'il est « polyvalent », manifeste toujours dans la pratique des dispositions plus marquées pour la fabrication de tel ou tel type de vannerie, exemptes : travail « en plein » ou « travail ajouré » , tressage de vanneries de forme ronde et ovale ou de forme carrée. Peu nombreux étaient ceux qui, autrefois, connaissaient toutes les techniques du métier et savaient en faire usage sans que leur production en soit réduite. Même chez les spécialistes, le degré d'habileté et la qualité du travail peuvent présenter des écarts importants. Ainsi l'on voit un vannier spécialisé, particulièrement habile et grand travailleur, atteindre un niveau de production supérieur de 30 à 40% à celui d'un ouvrier d'une capacité professionnelle moyenne. C'est dire que les gains peuvent être très variables.

L'apprentissage.

Avant la création de l'Ecole de Vannerie lé métier se transmettait le plus souvent de père en fils. L'apprentissage débutait vers l'âge de quatorze ans; il durait deux ou trois ans pour l'acquisition d'une « spécialité ». Il se faisait parfois chez un vannier ami de la famille. Pour remédier à cette formation traditionnelle trop fragmentaire qui risquait de compromettre l'avenir de la profession, on institua une Ecole de Vannerie dont la mission fut de préparer des vanniers-osiériculteurs « polyvalents », capables de faire progresser cette industrie.

Les fabrications.

Nous avons vu, que la vannerie haut-marnaise a connu au cours des siècles plusieurs périodes d'évolution. Depuis le milieu du XIXème siècle le catalogue des vanneries fabriquées dans la région a augmenté de façon considérable par suite du développement des industries et d'un besoin de plus en plus grand de confort matériel, de bien être.

Jusqu'au milieu du XIXème siècle on a fabriqué principalement des vanneries destinées à l'agriculture et à des usages ménagers : vans, cabas, hottes, paniers divers et corbeilles pour la maison, berceaux d'enfants etc.

Dans la seconde moitié du XIXème siècle et jusqu'à la seconde guerre mondiale, apparurent de nouveaux débouchés. Alors que la mécanisation progressive de tout l'outillage agricole réduisait peu à peu les besoins en vannerie de cette activité, la croissance industrielle et l'évolution du mode de vie fit naître, en revanche, d'autres besoins en paniers de manutention et de transport, en emballages, en articles ménagers et de présentation.

La période contemporaine qui a débuté après la seconde guerre mondiale, apporte encore de grands changements, voire des bouleversements dans notre façon de travailler et de vivre au quotidien.

 

En conséquence, le déclin de la vannerie française, amorcé timidement à la fin du XIXème siècle, s'accéléra dans la seconde moitié du XXème. Les vanniers  qui demeurent aujourd'hui attachés à leur métier sont contraints de passer de la « spécialisation » à la « polyvalence ». Pour séduire une clientèle potentielle, susciter des désirs, le vannier doit savoir associer l'utile à l'agréable, allier le « fonctionnel » à la fantaisie. L'opération est difficile; la création de modèles nouveaux, leur renouvellement, posent bien des problèmes de recherche et de fabrication car la matière première et les techniques de travail manuel restent les mêmes. D'une industrie aux fins purement utilitaires, la vannerie a tendance aujourd'hui à devenir une industrie de mode, avec tous les espoirs que cette mutation peut faire naître, mais aussi avec tous les problèmes qu'il faudra résoudre.


 

La vente de la vannerie.

Savoir fabriquer est une bonne chose, mais savoir vendre ses produits en est une autre, tout aussi importante. Les vanniers de ta région ont presque toujours vendu leurs marchandises à des négociants grossistes, ceci jusqu'à la naissance, au début du XXème siècle, de leurs premiers mouvements syndicaux et coopératifs. Jadis, quelques-uns colportaient leurs vanneries; ils faisaient le porte à porte et déballaient sur les marchés et les foires. On pense aux ermites de Saint-Pérégrin qui vendaient leurs paniers au marché du Fayl).

D'autres, pour acquitter leurs dettes, déposaient de la vannerie chez leurs créanciers :boulanger, épicier, quincaillier, voire cabaretier ! Ceux-ci se chargeaient de la vendre en prenant au passage un bon bénéfice (les intérêts de la dette). Le « troc « était encore un moyen de se procurer quelque chose sans délier les cordons de la bourse; l'argent était rare à certaines époques et ce système économique primitif était souvent un recours. Mais en général les vanniers livraient leurs produits aux marchands du « Fayl » et de Bussières.

 

Ces marchands vendaient aussi des objets de bois tourné, des chaises paillées, de la toile de chanvre et de la boissellerie achetée dans les Vosges et le Jura. Ils étaient ambulants et parcouraient les villages de la région et des régions voisines; ils fréquentaient les marchés et les foires, se rendaient à Dijon et fournissaient en marchandise les commerçants détaillants. Certains empruntaient le vallée de la Saône et descendaient jusqu'à Lyon. Avec un chariot tiré par un ou deux chevaux, les voyages duraient plusieurs semaines, parfois des mois, et ils n'étaient pas sans risque .

 

A partir des années 1860, la mise en service des grandes lignes de chemin de fer incite les marchands vanniers, et beaucoup d'autres marchands ambulants, à abandonner les routes et à exercer leur commerce par correspondance. La circulation du courrier, des personnes et des marchandises devient plus rapide et plus sûre par le train que par les véhicules hippomobiles. Les marchands disposent donc de plus de temps pour parcourir les villages des environs (toujours avec leur chariot), pour visiter les vanniers et les chaisiers, leur passer des commandes et « lever » les marchandises à leur domicile. Au « Fayl » et à Bussières les vanniers livrent eux-mêmes leur production aux marchands. Les livraisons se font à la brouette, le samedi après-midi à Bussières et le dimanche matin au « Fayl « , très tôt avant la grand-messe.

 C'est l'occasion pour les vanniers de faire sur le chemin du retour une petite « station » à l'auberge ou au cabaret, en empruntant prudemment, si nécessaire, des chemins détournés. Après tout, il n'est pas interdit de se réunir entre amis, de trinquer en commentant les nouvelles du pays et l'actualité nationale. Les sonneries des cloches annonçant la messe invitent les paroissiens à « lever le siège »; mais quelques uns cependant s'attardent un peu à boire, faisant la sourde oreille aux appels répétés de la voix d'airain.

Chaque marchand a ses vanniers « attitrés » qui travaillent régulièrement pour lui et qu'il considère comme « ses ouvriers ». Jusqu'à la première guerre mondiale subsistera un accord tacite entre marchands et vanniers. La fidélité dans les affaires n'est pas, malgré tout, une règle absolue; il arrive souvent que des bons     « spécialistes » et des « polyvalents » très habiles - ils sont peu nombreux - travaillent pour plusieurs marchands qui se partagent leur production.

Le marchand fait les relevés de compte de « ses ouvriers »  Il note la nature, le nombre et les prix des vanneries achetées et déduit éventuellement de la somme à payer la valeur de l'osier fourni pour l'exécution du travail et les acomptes versés dans la semaine. De leur côté les vanniers inscrivent leurs ventes et leurs achats, le plus souvent sur un petit cahier d'écolier.

Les gains du vannier.

Au XVIIIème siècle et au XIXème la vannier se situe parmi les travailleurs manuels de condition modeste. Dans la hiérarchie des métiers il côtoie le tourneur sur bois, le chaisier, le tisseur de chanvre... Ses gains, relativement modestes par rapport au travail accompli, varient selon son habileté et le genre de vannerie fabriquée. Fort heureusement sa situation s'améliorera beaucoup au cours du XXème siècle.


On constate depuis toujours que le vannier qui produit son osier tire un meilleur profit de son travail; il s'assure des revenus plus stables car il ne subit pas les fluctuations des cours de l'osier. D'autre part il peut, certaines bonnes années, vendre une petite partie de sa récolte ce qui lui permet d'arrondir ses gains.

Cependant il ne faut pas oublier que le temps consacré à l'entretien d'une oseraie familiale d'une trentaine d'ares et à la récolte des osiers de cette plantation  (en moyenne une tonne d'osiers blanchis) représente globalement 60 à 70 journées de travail « manuel » sans l'aide d'outils mécaniques. Mais dans le domaine osiéricole le vannier est secondé par son épouse et ses enfants ce qui lui permet de ne pas interrompre trop longtemps son travail de vannerie.

Beaucoup d'éléments extérieurs influent sur les revenus du vannier. Les crises économiques d'origines diverses sont assez fréquentes. Elles perturbent quelque temps les marchés et la mévente de la vannerie provoque une baisse des prix et génère parfois le chômage.

Malgré tout, le vannier connaît aussi des périodes favorables dont i! essaie de tirer le meilleur profit; pour ne citer que les principales :

- Les années 1873 à 1880, période d'extension et de modernisation des moyens de transport qui ouvre de nouveaux débouchés à la vannerie.

-1920-1929, un temps de prospérité générale jamais connu jusque-là.

-1940-1950, une vogue extraordinaire de la vannerie due à la pénurie de nombreuses matières premières pendant la deuxième guerre mondiale et les années suivantes.

Le tableau suivant nous donne un aperçu de l'évolution des gains des vanniers.

1847

 

1865

 

1873

 

1892

 

1908

 

1929

 

1932

 

1939

 

1948

 

1960

 

1975

 

AF

 

AF

 

AF

 

AF

 

AF

 

AF

 

AF

 

AF

 

AF

 

NF

 

NF

 

2,00

 

2,50

 

3,25

 

3,00

 

4,00

 

35,00

 

20.00

 

40,00

 

800.00

 

17.00

 

75,00

 

 

 

0,45

 

0.35

 

0,40

 

0,50

 

4,00

 

1,50

 

2,80

 

100.00

 

2.00

 

7.50

 

AF = ancien franc - NF = nouveau franc

Références : Abbé BRIFFAUT. La Saliciculture et la Vannerie à Bussières -1873-Abbé BRIFFAUT. Histoire de la Ville de FayI-Billot -1860. A. MOITRIER.    La culture de l'osier et son usage dans la vannerie -1867. Daniel ELOUARD. L'osiériculture et la vannerie en Haute-Marne -1932. Le livre blanc de la vannerie. Enquête de la Chambre de Commerce de la Haute-Marne -1977. Recueil de souvenirs de vanniers et de marchands.

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