FAYL - BILLOT AU COURS DES SIECLES
SA VANNERIE
XXeme SIECLE. L'APOGEE ET LE DECLIN
DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE A NOS JOURS.
En 1938 se dresse de nouveau en Europe le
spectre de la guerre. L'annexion de l'Autriche à l'Allemagne fait craindre le
pire. Après cet événement et le compromis de Munich, bien optimiste serait
celui qui croirait encore à une paix durable.
Un an plus tard, le 1er septembre 1939,
l'entrée des armées allemandes en Pologne fait jaillir l'étincelle qui va
provoquer l'embrasement de l'Europe et d'une bonne partie du Monde. Dès le mois
d'août, le gouvernement français, pressentant l'inévitable, avait rappelé
certaines catégories de réservistes sous les drapeaux. Le 02 septembre la
mobilisation générale est décrétée et le lendemain l'Angleterre et la France,
voulant tenir leurs engagements à l'égard de là Pologne, déclarent la guerre à
l'Allemagne.
Vingt ans seulement se sont écoulés entre la
fin de la première guerre mondiale et le début de la seconde. Les fils des
anciens " poilus " de 14/18 entrent à leur tour dans une nouvelle
tourmente. La guerre de 1914 que l'on avait baptisée illusoirement " la
DER des DERS ", s'avérait finalement comme la " première manche
" du plus grand conflit armé de tous les temps.
1939-1945 Le temps de guerre. L'occupation.
La mobilisation générale et la déclaration de
guerre bouleversent inévitablement l'économie. Priorité est donnée à tout ce
qui touche de près ou de loin à la défense nationale, au ravitaillement des
armées et de la population civile.
Beaucoup de vanniers et de rotiniers sont
mobilisés. Certains sont affectés à la défense aérienne du territoire;
incorporés dans 1'aérostation, ils sont chargés d'entretenir le matériel
d'observation et de protection et sont employés en particulier à la construction
et à la réparation des nacelles de ballons captifs (ballons d'observation et de
barrage dressés contre les raids aériens).
Au Fayl, certains vanniers et rotiniers
demeurés dans leur foyer se mettent à fabriquer des bannetons de troupe et
divers paniers pour les armées :après l'armistice de juin 1940, les
fabricants et les négociants en vannerie de la région, écouleront difficilement
leurs stocks de bannetons de troupe.
La Maison PETITOT qui employait près de 70
ouvrières et ouvriers avant la mobilisation générale, voit ses effectifs
réduits de moitié. Dans ses ateliers on confectionne aussi des bannetons et des
" fascines ", sortes de panneaux tressés en rotin brut ,longueur
1,8m, que l'on utilise pour caler les roues de canons et amortir ainsi leur recul
pendant le tir.
La Maison ROBERTY fabrique aussi des objets
d'osier.
L'Ecole de vannerie poursuit
ses activités mais avec des moyens très réduits en personnel et en matériel. Le
bâtiment principal a été réquisitionné par l'autorité militaire qui y a installé
une unité sanitaire. Le bâtiment principal de l'Ecole est aménagé en hôpital
militaire complémentaire. Il peut recevoir 80 blessés et malades. Cet
établissement n'accueillera en fait que quelques malades au cours de l'hiver
39/40.
Le Directeur de l'Ecole, Monsieur FONDEUX, et
la plupart des professeurs sont mobilisés. A la rentrée de 1939 l'Ecole
accueille quelques élèves des classes de 2ème et 3ème années d'études, au total
une quinzaine en majorité de la région. Ces élèves prennent pension au restaurant
MIOT, place de la Mairie. La salle de cinéma attenante au café-restaurant est
aménagée pour la circonstance en réfectoire et dortoir. Monsieur Robert
DUCHESME, chef de fabrication, dirige l'Ecole par intérim et assure les cours
de technologie vannière et d'osiériculture. Il a pour assistant Monsieur Abel
MASSON, comptable-gestionnaire. L'enseignement de la pratique vannière est
donné par Monsieur Albert GIGOT, chef de pratique. Madame MARCHAL, institutrice
honoraire, dispense l'enseignement général. La surveillance de "
l'internat " est confiée à Henri FERRAND, ancien élève de l'Ecole.
On s'installe dans la guerre avec la crainte
de voir s'engager les combats d'un jour à l'autre. Mais rien d'important ne se
produit dans l'immédiat. De septembre 1939 au printemps 1940, c'est l'attente,
l'inertie, la « drôle de
guerre » . Puis soudainement, le 9 avril, l'Allemagne déclenche une
offensive contre le Danemark et la Norvège et étend sa poussée à partir du 10
mai. Cette fois c'est vraiment la guerre ! La Hollande, la Belgique, le
Luxembourg puis la France sont envahis et les armées franco-britanniques
engagées sur les fronts ne peuvent contenir la pression de la Wehrmacht, mieux
équipée et plus mobile. Le 10 juin l'Italie rejoint à l'Allemagne, ouvrant un nouveau
front sur les Alpes.
Les premières colonnes motorisées des armées
allemandes traversent Fayl-Billot le dimanche 16 juin 1940 à 5 h 30 du matin.
Le défilé dure toute la journée et toute la nuit du 16 au 17 juin dans le sens
Langres Vesoul. La plus grande partie de la population de la région a fuit
devant les envahisseurs. Au Fayl il ne reste que 300 personnes environ; c'est
l'exode ! Mais bien vite rejoints sur les routes par les soldats allemands, les
civils n'ont plus qu'une bien sage d'ailleurs regagner leur logis. Dès le 18
juin quelques Fayl-Billotins sont de retour au pays. Les jours suivants
beaucoup de familles reprennent leur place au sein de la communauté
villageoise. Certaines familles qui ont pu atteindre les régions du sud de la
France, ne reverront le clocher du Fayl que les mois suivants et quelques unes
en 1941 seulement.
Le 22 juin le gouvernement du Maréchal PETAIN
signe un Armistice avec l'Allemagne et le 24 juin avec l'Italie. La France est
occupée par les vainqueurs sur plus de la moitié de son territoire. Une ligne
de démarcation délimite la zone occupée de la zone dite " libre ".
Cette dernière zone sera envahie en novembre 1942 à la suite du débarquement
des armées alliées en Afrique du Nord.
Peu à peu Fayl-Billot revient à la vie; les
services publics se réorganisent. On essaie de trouver des solutions aux
nombreux problèmes qui se posent et on tente d'atténuer, dans la mesure du
possible, les rigueurs de l'occupation. Le droit de circulation est limité et
l'utilisation des véhicules automobiles est réduit à l'extrême. Les
réquisitions rendent difficile l'approvisionnement en matière premières et le
ravitaillement de la population civile;
L'Ecole de vannerie dispose
pour ses activités du bâtiment annexe Ouest, du bureau de comptabilité situé au
rez-de-chaussée de l'aile ouest du bâtiment principale et d'une petite maison
(aujourd'hui disparue) située à l'angle de la ruelle et de la rue du Château et
dans laquelle est installé l'atelier de vannerie d'osier.
A l'intérieur de la zone d'occupation, une
douzième zone de " sécurité " a été créée; elle s'étend sur une
grande partie du nord et de l'est de la France. Les limites de cette zone
"'interdite " empruntent à l'est le tracé du canal de la Marne à la
Saône. La Haute-Marne se trouve ainsi divisée en deux parties à peu près
égales. Tout l'est du département est en zone " interdite " et les
haut-marnais qui y demeurent n'ont plus libre accès aux principales villes
situées à l'ouest du canal : Langres. Chaumont. Joinville et Saint-Dizier
partiellement. Tous les ponts qui enjambent le canal sont gardés militairement.
D'autre part, la ville de Dijon, si chère aux habitants du sud haut-marnais, se
trouve aussi hors de la zone " interdite ". Les déplacements d'une
zone à l'autre ne sont autorisés qu'aux personnes munies d'un AUSWEIS
(laissez-passer) délivré avec parcimonie par l'autorité d'occupation. Cette
paralysie de la circulation des personnes entrave les rapports familiaux, rend
difficile les relations d'affaires, freine l'économie et complique les
formalités administratives, non seulement dans le département, mais aussi avec
toute l'autre partie de la zone occupée et avec la zone " libre ".
Les barrières ne seront levées qu'à la fin de 1942 lors de l'occupation de la
France dans sa totalité.
A partir d'octobre 1940 et durant l'hiver
40-41, Fayl-Billot et tous les villages de la région sont occupés par des
unités de l'armée allemande. Un état-major appartenant à la division S.S.
" DER FÙHRER " s'installe à Fayl-Billot en décembre. Un général loge
au n°2 de la rue Darboy, dans la maison du Docteur Pierre CHERREY
réquisitionnée en partie pour ce général et pour l'installation du mess des officiers.
Les occupants, estimés à plusieurs centaines,
sont répartis dans tout le pays. De jeunes soldats sont logés dans les
bâtiments de l'Ecole de vannerie. L'Etablissement ne rouvrira ses portes aux
élèves qu'en janvier 1942.
Le Directeur de l'Ecole de vannerie. Monsieur
FONDEUX et tous les professeurs repliés en " zone libre ", Madame
FONDEUX, Messieurs DUCHESNE, LEPINE et GIGOT ne pourront regagner
officiellement Fayl-Billot qu'en novembre-décembre 1941. La rentrée scolaire se
fera en janvier 1942 avec une vingtaine d'élèves dans des conditions
matérielles très difficiles.
La KOMMANDANTUR, installée initialement rue
Sainte Anne dans la maison du Docteur TRIBET (aujourd'hui maison des Docteurs
Micheline et Jean-Claude POSPIECH), est transférée dans une maison de la place
de la gendarmerie (n°11 de la place de Verdun, puis au n°12 de la Grande Rue).
Après le départ des troupes d'occupation, en février et mars 1941, il ne reste
à Fayl qu'un poste d'écoute installé dans une baraque en bordure de la route de
Charmoy au lieu-dit « LES CLOTURES ». Ce poste sera occupé en
permanence par une petite unité de transmission jusqu'en septembre 1944.
La vannerie et les vanniers pendant la guerre.
Par suite de la capitulation de juin 1940,
près de 2 millions de soldats français sont prisonniers de guerre en Allemagne.
420.000 prisonniers de guerre seront libérés entre 1941 et 1944. Ils seront
remplacés en partie, par les jeunes gens des classes 40, 41 et 42 envoyés en
Allemagne par le Service du Travail Obligatoire (S.T.O.).
A Fayl-Billot on dénombre une cinquantaine
d'absents dont une quinzaine de vanniers et de rotiniers. Certaines
exploitations agricoles manquent de bras. Les entreprises industrielles et
artisanales travaillent au ralenti. La population civile est rationnée. Tous
les métaux, le cuir, les tissus, le caoutchouc, le papier et le carton,
l'essence, l'huile, le charbon, etc. sont contingentés. On ne peut se les
procurer que sur présentation de bons d'achat délivrés par les organismes
professionnels et dans certains cas par les Mairies : bons d'achat de
vêtements, de chaussures, cartes d'alimentation, etc. Toute la production est
contrôlée depuis la source jusqu'à la destination finale.
Ces mesures exceptionnelles - nous sommes en
temps de guerre - obligent tous les artisans à se faire inscrire sur le
répertoire des métiers déposé au greffe du tribunal de commerce de leur
arrondissement. Faute d'accomplir cette formalité, ils ne peuvent entrer en
possession de la " monnaie-matière " distribuée par le bureau
artisanal des matières (B.A.M.) rattaché à la Chambre de , Métiers . La
répartition de la " monnaie-matière " est assurée pendant la guerre
par des comités d'organisation qui se sont substitués aux syndicats
professionnels. Ces comités seront dissous en 1946 et les syndicats reprendront
à cette date leur rôle auprès des Chambre des Métiers.
Cette " monnaie-matière ", répartie
entre les ayants droit, permet aux vanniers d'acheter des clous, du fil de fer,
des articles de quincaillerie et les outils dont ils besoin pour exercer leur
métier. Ce contingentement des matières premières et de certains produits
fabriqués sera maintenu jusqu'à la fin des années 40. La levée des restrictions
s'échelonnera sur plusieurs années, selon les matières et l'approvisionnement
des marchés.
L'inscription des artisans sur le répertoire
des métiers, bien que devenue obligatoire à partir de 1936, s'était faite
jusque là sans empressement. Pendant la guerre elle devient une formalité
" utile ". Sur les registres analytiques du Tribunal de Commerce de
Langres sont mentionnés, en 1939, les noms de 478 vanniers répartis dans trente
neuf communes de l'arrondissement, à savoir :
BUSSIERES-lès-BELMONT 143, PIERREFAITES 21, ARBIGNY 9, FAYL-BILLOT
100 ROUGEUX 17, BELMONT 8, PRESSIGNY 37, FARINCOURT 13, SAVIGNY 8, GRENANT 31 GENEVRIERES 9, BRONCOURT 8, POINSON-lès-FAYL 22,
SAULLES 9, VONCOURT 5
Pour la période comprise entre 1940 et 1945 on
relève 88 inscriptions supplémentaires dont 46 pour Fayl-Billot. Parmi ces 46
vanniers, 25 ont débuté dans le métier avant 1936.
Pendant la guerre, le bois devient un
matériau précieux, providentiel. Employé fréquemment en remplacement des métaux
et des cartonnages, il permet à certaines industries de maintenir leurs
activités. Il résout de plus, de façon assez satisfaisante, le problème du
chauffage industriel et individuel.
La rareté sur les marchés de nombreux
produits manufacturés favorise temporairement la vannerie. Les demandes en
paniers d'emballage et de manutention deviennent plus importantes. Les articles
de voyage en osier sont à la mode, particulièrement la " toilette
marseillaise " baptisée " panier à marché noir. Les paniers à
provisions, lucettes, gondoles, claires-fins, évincés au cours des années 30
par le vilain cabas en toile cirée noire, retrouvent leur place au bras
de la ménagère. On recherche aussi les paniers de jardin (on jardine beaucoup),
les corbeilles à linge, les paniers à bois, les paniers à bicyclette etc. on
roule plus à bicyclette qu'en automobile.
Le déséquilibre qui se manifeste entre une
offre déficitaire (production réduite) et une demande insatisfaite en biens de
consommation ne peut que conduire à l'inflation. L'Etat, redoutant ce mal
endémique, s'efforce alors de le juguler en intervenant directement sur les
échanges économiques par le blocage des prix des matières premières et des
produits fabriqués. En principe tout est recensé, contrôlé, taxé. En réalité
certaines choses échappant aux contrôles, et parallèlement au marché officiel
s'établit un marché clandestin dénommé " marché noir " basé sur la
spéculation. Le troc, système économique primitif, redevient une pratique
courante : " donne-moi d'quoi t'as, t'auras d'quoi j'ai ! ".
L'osier et la vannerie n'échappent pas à la
réglementation. Le prix de l'osier est taxé et celui des articles de vannerie
aussi. La commercialisation de l'osier est répartie entre les négociants
grossistes de la région. A chaque négociant est attribué un secteur d'achat et
un quota d'osier calculé d'après les achats effectués au cours des années
précédant la guerre. Le prix de l'osier est fixé par un comité d'organisation.
Tout marchand est tenu de faire la déclaration de ses achats et de ses ventes
dont le volume global ne peut dépasser celui des achats. Le commerce de l'osier
redeviendra libre au mois d'août 1946.
Création des coopératives de vannerie.
En 1942, les membres du syndicat des vanniers
de Bussières-lès-Belmont envisagent, lors d'une réunion, la possibilité de
créer un groupement professionnel de production et de vente de vanneries.
L'idée fait son chemin, et le 10 juin 1942 quelques vanniers se réunissent pour
élaborer les statuts d'une Société Coopérative Artisanale. Cette société
dénommée " LA VANNERIE BUSSIEROISE " est à personnel et capital
variables. Son siège est établi à Bussières. Un acte de déclaration et de
souscription du capital social (5.400 francs à la création) est établi le 15
juin 1942 par Maître MOLIARD, notaire à Bussières-lès-Belmont. Dès sa création
la société coopérative réunit une trentaine d'adhérents, tous souscripteurs.
Les statuts de la société sont modifiés en 1969 puis en 1983 en application de
nouvelles dispositions régissant les sociétés anonymes coopératives
A l'instar des vanniers bussiérois, quelques
vanniers du Fayl jettent à leur tour les bases d'une association. Dans un acte
notarié établi par Maître MOLIARD le 26 mai 1943, Messieurs Georges DOYEN,
Georges FAITOUT, André DELAMOTTE, Lucien ROUGETET et Léon FAITOUT, déclarent
fonder une Société Coopérative Artisanale de vannerie à capital et personnel
variables. Le siège de cette société, dénommée " LA LABORIEUSE ",est
établi à Fayl-Billot. Le capital social, fixé à la somme de 3.200 francs, est
divisé en 32 parts de 100 francs souscrites par onze sociétaires. La
déclaration de la société est enregistrée le 1er juin 1943. En 1944 et 1945,
cinq nouveaux souscripteurs adhèrent à la société.
L'inflation galopante des années 1943 à 1948
et l'insuffisance des moyens financiers mettent en difficulté la coopérative et
l'oblige à cesser ses activités en juin 1948. Les comptes administratifs sont
arrêtés le 31 décembre 1948 et la société sombre alors dans un long sommeil qui
dure toujours.
Négociants en osier et vannerie des années
1940.
Durant la période de guerre et celle
d'après-guerre on dénombre, dans la région, une dizaine de négociants en osier
et vannerie.
Citons : à Fayl-Billot, la Maisons
AUBERTIN-VIARDOT pour l'osier, les Maisons CHATEAU-FRERES, DELAMOTTE,
L'HERITIER pour l'osier et la vannerie.
à Bussières, les Maisons CHARNOTET,
LEFORT, MOREL, THOMAS (successeur de la Maison DECOURCELLES) et VIARDOT pour
l'osier et la vannerie.
à Chalindrey, la Maison JANNIAU pour
l'osier.
à Provenchère-sur-Meuse, la Maison
BESANCON, fabrique et commerce de vannerie.
Après la guerre, d'autres négociants
viendront s'approvisionner dans la région : Les Maisons AUBRY Frantz et AUBRY
Gaspard de Meurthe et Moselle.
La Maison TREFFE de Meurthe et Moselle.
La Maison FRISON de la Seyne-sur-Mer (Var)
(Monsieur FRISON originaire de Bussières est un ancien élève de l'Ecole de
Vannerie).
Depuis 1990 " LA VANNERIE BUSSIEROISE
" est une Société d'Intérêt Collectif Agricole (SICA). Les sociétaires
(vingt six actuellement) sont en majorité des osiériculteurs-vanniers affiliés
au régime agricole.
L'industrie du meuble en rotin pendant la
guerre.
Si l'approvisionnement en matière première ne
pose pas ou peu de problème aux vanniers, les rotiniers, en revanche, se trouvent
aux prises avec de sérieuses difficultés. Pendant la guerre les importations de
rotin, matière exotique, sont suspendues et les stocks, tout en étant gérés
avec sagesse, ne sont pas inépuisables. Les rotiniers devront patienter
jusqu'en 1948/49 pour retrouver un marché stable.
A partir de 1941, les Etablissements PETITOT,
ROBERTY et GARNIER sont contraints de remplacer le rotin par divers matériaux.
Les carcasses des sièges et les piétements des tables sont fabriqués avec des
baguettes de châtaignier achetées dans la Massif Centrale ou avec des bois
tournés. L'équerrage -arcature des meubles est réalisée avec de gros osiers. La
"moelle" de rotin "filée", employée pour le " tissage
" des sièges, est remplacée par de la ficelle de papier (cellophane) et
par de la ficelle de palmier DOUM importée d'Afrique du Nord (jusqu'en 1942).
Les " cannages " et les garnitures (ligatures et tortillages) sont
faits en " éclisse " d'osier. L'approvisionnement en pointes, en fil
de fer, en articles de quincaillerie est limité et les rotiniers doivent faire
preuve parfois de beaucoup d'ingéniosité.
L'après-guerre. De 1946 à 1960.
Au sortir de la guerre il faut reconstituer
le tissu économique passablement effiloché; les besoins sont considérables dans
tous les domaines. La vannerie et l'ameublement de rotin vont profiter, pendant
quelques années, de la croissance industrielle et de 1'expension économique
dont les effets bénéfiques seront hélas considérablement atténués par une
inflation galopante difficilement maîtrisable.
L'éventail de la vannerie haut-marnaise
s'ouvre de plus en plus. Aux articles traditionnels et aux articles de voyages
toujours très demandés principalement la " toilette marseillaise " et
le panier pour bicyclette- vient s'ajouter toute une variété d'articles pour
fleuristes et confiseurs. Le banneton long (appelé banneton parisien) destiné
au moulage des baguettes de pain entre à son tour dans le catalogue des
fabrications locales. Au cours des années 50 apparaît le " cabas " à
provisions confectionné tout en osier, ou en rotin et osier alliés. Ce panier
haut et étroit, muni de deux grandes poignées, connaît une vogue
extraordinaire; on le fabrique par milliers.
La vannerie pour fleuristes et confiseurs
prend une place de plus en plus importante. De 1945 à fin 1948, la Maison
PERNEE, spécialisée dans ce genre de vannerie, emploie une quarantaine
d'ouvrières et d'ouvriers, tant à domicile que dans son atelier situé au n°9 de
la rue du Cloutier.
Les matières employées sont : l'osier, la
"moelle"' de rotin "filée et éclissée", accessoirement les
rotins bruts, les lames de bois de placage, les pailles tressées et le bois
découpé pour la confection des fonds de corbeilles. La tendance est à la
vannerie colorée .
La coloration de la vannerie
était déjà à la mode voilà plusieurs siècles. Nous en avons pour témoignage
certains tableaux peints par des Maîtres flamands du XVIème et du XVIIème
siècles. Sur ces tableaux représentant différentes scènes de travail et de la
vie familiale figurent de belles vanneries teintes (ou peintes ?).
Beaucoup d'articles vendus traditionnellement
en " blanc " sont teints couleur noisette puis vernis : articles de
voyage, huches à pain, paniers à linge, paniers à bois, corbeilles à chiens et
à chats, paniers à provisions, paniers de pèche, etc. Les vanneries sont
plongées dans un bain de teinture, chaud ou froid; les colorants employés sont
a base d'aniline, produit dérivé de la nitrobenzine. Certaines vanneries fines
et de fantaisie sont teintes (teinture de fond) puis recouvertes d'une laque
appliquée au pistolet pneumatique. Les coloris à la mode sont : le noir, le
jaune, le rouge, le vert, le marron dans les tons vifs; le blanc, l'argent et
le bronze sont appliqués sur les corbeilles à fleurs et sur certaines pièces
décoratives.
" LA VANNERIE FINE HAUT-MARNAISE "
(S.A.R.L. filiale de la Société CHATEAU frères) est présente au salon des
artistes décorateurs et au salon des ateliers d'art de Paris ainsi que dans de
nombreuses expositions.
Au cours des années 1950 de nouvelles matières
plastiques font leur entrée sur le marché. On assiste alors à une tentative
"'d'intrusion " de ces matières de synthèse dans le domaine de la
vannerie. Des composés vinyliques sont employés sous forme de joncs et
d'éclisses pour le tissage de petites corbeilles et de certains paniers à
provisions, cabas en particulier. Les essais ne durent que quelque temps à la
grande satisfaction des " puristes " qui craignaient de voir la
vannerie s'engager dans la voie de la médiocrité.
Certaines matières plastiques
avaient déjà été employées en vannerie une vingtaine d'années plus tôt.
Quelques vannières de la région de Fayl-Billot confectionnaient au cours des
années 1930, des petites corbeilles, des coffrets et de menus objets tressés à
l'aide de "joncs" et "d'éclisses" de CELLULOÏD, une matière
plastique obtenue par traitement de la cellulose (nitro ou acétate de
cellulose). Ces petites vanneries multicolores n'avaient pas, malgré leur
éclat, l'attrait des vanneries fabriquées avec de l'osier et du rotin, matières
naturelles vivantes et familières. Les vanneries en Celluloïd étaient destinées
à une Maison d'Oyonnax (Ain) spécialisée dans la fabrication d'objets en
Celluloïd
Le renouveau du meuble en rotin.
A la fin des années 40 l'approvisionnement en
rotin est redevenu normal, mais les fabricants de meubles doivent déployer de
gros efforts et faire preuve d'imagination pour satisfaire leur clientèle lasse
des fabrications de guerre.
Le syndicat national des fabricants de
meubles en rotin, fondé en 1928 et présidé par Monsieur Louis PETITOT (de 1938
à 1963), s'attache dès le début des années 50 à donner à la profession une
nouvelle impulsion. Fort de ses 80 adhérents, il crée, en liaison avec la
Chambre Syndicale des filateurs de rotin, un service de propagande. Ce service
dirigé par Monsieur FONTAINE se donne pour tâche de faire connaître le mobilier
en rotin et de mettre en évidence toutes ses qualités.
Des pages publicitaires sont insérées dans
les grandes revues d'art et d'ameublement : Art et décoration, Meubles et
décors. Maisons et jardins, Maisons françaises, etc. Des plaquettes, des
brochures, sont éditées et très largement diffusées. Le mobilier en rotin est
mis en valeur lors des grandes manifestations professionnelles : salon du
Meuble, salon des arts ménagers, salon des artistes décorateurs à Paris, Foires
expositions de Paris, de Lyon, de Marseille, de Strasbourg, de Lille. Le
service de propagande entre en relation avec des décorateurs en renom qui
créent des meubles de prestige en s'appuyant sur les critères de la qualité :
Le STYLE (mouvement des idées), l'HARMONIE (équilibre architectural), le
CARACTERE (impression donnée par l'objet), le FONCTIONNALISME
(confort) et la QUALITE (choix des matériaux et des techniques d'exécution). Ce
dernier critère étant généralement du domaine de l'artisan et de l'ouvrier
qualifié.
Collection de l'Ecole Nationale de Vannerie
Durant les années 50, la tendance est aux
meubles "cossus" inspirés du style " ART DECO " des années
1920-1930. Ces meubles élégants et confortables, aux lignes souples, sont
dépouillés de tout ornement superflu. Tissés ou cannés avec raffinement, ils
sont les représentants d'un style nouveau dans l'art du rotin. Malheureusement,
le prix de revient de plus en plus élevé de la main d'œuvre et des matériaux
conduira peu à peu a l'élimination des revêtements " tissés " et
" cannés "et fera perdre aux réalisations les plus riches leur
caractère traditionnel, typiquement artisanal. On verra alors s'imposer le
revêtement " ajouré ", plus léger, plus aéré, moins exigeant en temps
de fabrication et en matériau. Cette nouvelle facture dominera dans le mobilier
en rotin à partir des années 60.
Disposant d'une main d'œuvre qualifiée, les
industriels de Fayl-Billot s'adaptent sans difficulté à l'évolution de la mode
et aux exigences des décorateurs. Toutefois ils n'abandonnent pas la
fabrication du mobilier classique toujours très demandé; la chaise-longue, le
fauteuil " confortable ", (appellation donnée à un fauteuil qui a la
faveur des personnes âgées), la chaise de terrasse (nombreux modèles), la
" causeuse " fauteuil léger de jardin, etc. Tous ces sièges sont
" 'tissés " ou " cannés " sur une monture de rotin de
MALACCA pour le 1er choix, ou sur une monture de châtaignier écorcé et teint
portant l'appellation " façon Malacca " pour le 2ème choix, ou encore
sur une monture de châtaignier brut (non écorcé) pour le 3ème choix.
Les fabricants
Dès les lendemains de la guerre, la Maison
PETITOT s'agrandit. Une quarantaine de rotiniers et de rotinières travaillent
dans ses ateliers et une trentaine à domicile. La main d'œuvre féminine
représente 1/3 environ des effectifs. Certains ateliers situés place ce la
Barre sont transférés rue de Vesoul. L'atelier de cintrage des rotins est
installé dans un bâtiment de l'ancienne Maison SOEUR (aujourd'hui une annexe du
magasin COCCINELLE. Cet atelier sera en partie détruit par un incendie à la fin
des années 1950 ;date présumée 1959).
Les
locaux de stockage, de vernissage et d'emballage trouvent place dans l'ancienne
Maison CHALOCHET au n°11 place de la Barre.
Après le décès de Monsieur Alphonse PETITOT
en 1952, son fils Louis assure la direction de la fabrique. La Maison garde sa
raison sociale : " LES ROTINS DE FAYL- BILLOT ". Des ateliers PETITOT
sortent des meubles en rotin de tous genres, depuis les pièces de haut de gamme
conçues par des décorateurs parisiens, jusqu'aux modèles les plus classiques.
Les meubles d'extérieur (fauteuils et tables de jardin et de terrasse) sont
fabriqués en permanence et stockés en attendant les commandes qui arrivent à la
belle saison. Les derniers travaux de garnissage, tortillages et ligatures,
sont réalisés juste avant les livraisons en respectant les coloris choisis par
la clientèle.
La prospection et les relations avec la
clientèle se font en général par l'intermédiaire de représentants.
- La Maison GARNIER prend aussi de
l'extension; un second atelier est ouvert en 1944, rue de la Vieille Eglise. En
1947 Monsieur GARNIER s'installe Grande Rue dans une maison ancienne datant du
XVIIème siècle (maison portant aujourd'hui le n°9). En 1950 il emploie une
vingtaine d'ouvriers et d'ouvrières dans ses ateliers et à domicile. La
production est de belle qualité, orientée en général vers le mobilier de jardin
et de terrasse et les sièges pour enfants. Les sièges sont " tissés "
ou " cannés " sur des montures de rotin de Malacca et de Manille ou
sur des montures de châtaignier écorcé.
Après le décès de Monsieur GARNIER, survenu
en 1951 la fabrique est gérée par Madame GARNIER aidée de ses enfants : Suzanne
et André. La Maison emploie une quinzaine d'ouvriers jusqu'en 1964, date de la
vente de l'entreprise à Monsieur Roger PERNOT.
- La Maison ROBERTY poursuit ses activités
avec 6 ou 8 ouvriers dans l'atelier situé Grande Rue. En 1946, Monsieur Joseph
ROBERTY part pour Marseille où il ouvre une fabrique de meubles en rotin et
confie la gestion de l'atelier de Fayl-Billot à son fils Michel. En 1952,
Michel quitte à son tour Fayl-Billot et rejoint ses parents à Marseille.
- La fermeture de l'atelier ROBERTY est
bientôt compensée par la création d'une nouvelle fabrique. En 1954, Monsieur
Marcel QUEVY, ancien rôtinier aux Etablissements MINOT, ouvre un atelier au n°2
de la rue du Grand Moulin, dans l'ancienne maison de François VALLON,(le
dernier potier du Fayl décédé en 1941). Sous la dénomination " LE ROTIN
MODERNE ", la Maison QUEVY se développe rapidement et emploie jusqu'à 14
ouvrières et ouvriers au cours des années 50. Les meubles fabriqués en rotin de
Manille et de Malacca sont de grande qualité; ils sont destinés principalement
à des magasins spécialisés de Paris et de province.
L'Entreprise sera cédée en 1964 à Monsieur
Jean LASSAGNE ancien élève de l'Ecole de Vannerie. Ce rotinier ne restera que très
peu de temps à Fayl-Billot. Après son départ en 1967, Monsieur QUEVY exercera
de nouveau son métier en qualité d'artisan, pendant quelques années.
Ce regain d'activité de la vannerie et de
l'industrie du rotin durera localement jusqu'à la fin des années 50. A partir
de la décennie suivante la profession se trouvera en présence de sérieux
problèmes; elle devra lutter plus que jamais contre la concurrence
étrangère, supporter de nouvelles charges fiscales et sociales et résister aux
menaces qui pèseront de plus en plus sur l' artisanat et tout particulièrement
sur la vannerie, métier manuel par excellence.