FAYL - BILLOT AU COURS DES
SIECLES
SA VANNERIE
A LA RECHERCHE DES ORIGINES
Nous avons vu que l'histoire de la vannerie
remonte aux premiers âges de l'humanité. Partant de cette certitude on peut imaginer
que les tribus nomades du Néolithique, dont on a retrouvé des traces sur le
territoire du Fayl et sur celui de Charmoy, savaient confectionner à partir de
tiges et de fibres végétales les ustensiles et les récipients rudimentaires
indispensables pour l'accomplissement de leurs tâches domestiquer.
Ces vanneries primitives ont été détruites par
l'usage ou ont été enfouies fortuitement dans des sols généralement peu
propices à leur conservation. Aucun vestige, aucun fragment de vannerie n'a été
retrouvé jusqu'à présent sur les sites préhistoriques de notre région, ni à
Frettes station la plus ancienne, ni à Farincourt.
La station de Frettes est
classée dans le Paléolithique moyen: 50.000 ans environ avant J.C.
Par chance,la station néolithique de la
VERGENTIERE à Cohons a livré aux archéologues des disques de terre cuite
appelés "plats à pain" qui présentent sur une face des empreintes de
vannerie. Ces empreintes laissent supposer que ces "galettes" de
terre étaient mises à sécher sur des claies avant leur cuisson. Il s'agit là,
probablement, des plus anciennes traces de vannerie découvertes dans le sud
haut-marnais (3300 ans environ avant J.C.) (2)
Les Celtes et les Lingons de l'âge du Bronze
et de l'âge du Fer, (3) plus tard les colons gallo-romains qui s'établirent sur
la terre du Fayl aux lieux-dits "CLONJON, LES VARENDAUX, LE
CHATELET", fabriquèrent et utilisèrent, sans aucun doute, des vanneries
déjà très élaborées.
2) et (3) Monsieur Louis
LEPAGE, Docteur en archéologie. Il était une fois... en Haute-Marne. Tome I:
"LA PREHISTOIRE" Tome II : "L'AGE DU BRONZE ET LES CELTES".
- 1991 - 1993 -
Nous arrivons au Moyen Age, cette longue
période de l'histoire qui s'étend de la fin du Verne siècle jusqu'au milieu du
XVème et demeure localement assez obscure jusqu'au XIIème siècle.
Sous l'influence de ces religieux très actifs
et détenteurs d'un certain savoir se développent l'agriculture et un artisanat
rural. Un village naît et s'étend autour du Prieuré et le long du ruisseau
(quartiers actuels du Vau et de la rue Reby). Petit à petit il s'agrandit et
gagne les versants du vallon dénommés :les VIAUX, les ROCHER, le MONT
D'OLIVOTTE, la PERRIERE...
Les Viaux :mot issu du latin Via devenu voie au XII siècle ;les Viaux :les voies, les chemins. La Pérriere :nom bourguignon de la carrière où l’on extrayait la pierre.
La butte du château est déjà occupée par les
serviteurs du Seigneur et les paysans qui cultivent ses terres. La population
du Fayl s'accroît. Vers le XIIème siècle un marché est établi le jeudi de
chaque semaine et au XIVème siècle une foire annuelle est instituée le jour de
la Saint-Clément (23 novembre). Marchés et foires encouragent les rencontres,
facilitent les échanges et développent les courants commerciaux, alors que les
échoppes de marchands sont encore rares, surtout dans les villages.
La matière première est à la disposition des
vanniers. L'étroite vallée qui s'étend du lieu-dit "La GORGE"
jusqu'au "CHATELET", les nombreuses "noues" au sol gras et
très humide que l'on voit dans la plaine, sont propices à une végétation
spontanée de saules et d'arbrisseaux sauvages dont on peut tirer parti en
vannerie. La grande forêt toute proche fournit aussi aux gens du Fayl le
"mort-bois" que le Seigneur consent à leur abandonner.
En plus des besoins locaux, il y a aussi les
débouchés offerts par les villes proches. LANGRES, l'antique cité lingonne, la
capitale gallo-romaine, est à quelques lieues du Fayl. Un nœud routier
important (anciennes voies romaines réaménagées) fait de cette ville un
carrefour inévitable par où passe une grande partie des échanges entre le Sud,
le Nord, l'Est et l'Ouest.
Le commerce y est très actif. Trois foires
annuelles sont instituées au début du XIIIème siècle en plus du marché
hebdomadaire. Messieurs Paul MEJEAN et Marcel HENRIOT, auteurs de
l'ouvrage : LA HAUTE-MARNE - édité en 1958 nous disent a ce sujet :
" Le terrier de 1334 nous est précieux;
il a apporté jusqu'à nous l'un des aspects les plus singuliers de la vie
langroise au Moyen Age. "
" Les jours de foire étaient animés
et le commerce y était plus varié. Toute la petite industrie régionale était là
: cordonniers et mégissiers comme drapiers qui doublaient les vendeurs de
BOIGE. On y rencontrait en effet, à côté des marchands de "gros
pains" ou de gâteaux, des vinaigriers et des marchands de semences, des
serruriers, des bonnetiers, des fabricants de jougs, des vendeurs de bardeaux
et de vitres pour les maisons, enfin des VANNIERS... "
D'où venaient-ils ces marchands de vannerie ?
Champagne, de Lorraine, de Bourgogne, du Fayl peut-être ?
Dans ce bourg toutes les conditions étaient
réunies pour permettre à quelques paysans d'exercer une activité vannière. La
matière première était disponible sur place, et l'écoulement de la production
pouvait se faire par l'intermédiaire des marchands ambulants qui sillonnaient
la région et fréquentaient assidûment les marchés et les foires.
Nous n'avons pas trouvé de réponse à cette
interrogation.
XVII ème siècle. LA
NAISSANCE D'UNE TRADITION.
Selon l'Abbé BRIFFAUT, la culture et le tressage de l'osier auraient
débuté à Fayl-Billot et dans la région vers la fin du XVII ème siècle, après la
guerre de Franche-Comté. Certains écrits postérieurs à cette période très
troublée (1636 à 1660) parlent, en effet, d'une activité vannière qui aurait
été introduite dans le pays par les ermites de SAINT-PÉRÈGRIN. L'Ermitage de
SAINT-PEREGRIN était situé dans les bois de Poinson-lès-Fayl, près du chemin
qui conduit à Savigny. A son emplacement se trouve aujourd'hui une ancienne
ferme. D'après une légende, cet Ermitage -un des principaux du Diocèse de
Langres- aurait été fondé au Moyen Age. Plus ou moins délaissé au cours des
siècles, il était habité dans la seconde moitié du XVIIème siècle par un garde
chapelle.
SAINT-PÉRÈGRIN :
dénomination venue de "SANCTUS PÉREGRINUS" le Saint voyageur,
fondateur de l'Ermitage.
En 1670, un pieux
anachorète, nommé JEAN-JACQUES choisit Saint-Pérègrin pour lieu de retraite et
s'y installe avec l'agrément du grand Vicaire de l'Evêché de Langres. Il en
devient le supérieur.
Frère JEAN-JACQUES
était le fils naturel du Roi Henri IV et de Jacqueline de BREUIL, Comtesse de
MORET. Militaire, il participa en 1632 au siège de Castelnaudary où Henri II de
Montmorency fut vaincu et fait prisonnier. Après ce siège il décida de se
retirer du monde et embrassa l'ordre des Ermites de Saint Jean-Baptiste. Après
avoir demeuré en divers Ermitages, il se rendit en Italie, en Lorraine, puis
vint en Bourgogne.(région de Mirebeau) avant de se retirer à Saint-Pérègrin.
(Abbé Briffaut - Histoire
de Fayl-Billot - Notices sur les villages du canton).
Sous l'autorité de ce religieux très érudit,
les ermites et les novices admis à Saint-Pérègrin s'adonnent aux travaux
manuels. Ils apprennent différents métiers et fabriquent des bas, des bonnets,
de l'estame (ouvrage de fils de laine), des sangles, des images pieuses, des
PANIERS et des CORBEILLES d'osier "finement ouvragés". Tous les
jeudis, un frère se rend au marché du Fayl pour y vendre les objets fabriqués.
Il rapporte à l'Ermitage les provisions pour la semaine. Les marchandises
invendues sont cédées à des colporteurs ou données aux personnes qui viennent à
l'Ermitage.
En 1676, frère JEAN-JACQUES décide, pour des
raisons personnelles de changer de retraite. Il se retire en Anjou où il décède
en 1691. (Abbé Briffaut)
Nous pensons que les ermites de Saint-Pérègrin
apprirent aux habitants des villages voisins, la manière de cultiver
rationnellement l'osier, de créer des "SAUSSAIES" (oseraies) et de
fabriquer des objets de vannerie différents des vans, des cabas et des paniers
traditionnels. Sur l'initiative de ces religieux soucieux sans doute de venir
en aide à une population fortement éprouvée par les guerres et toutes leurs
séquelles- serait né un centre de fabrication de vannerie. Leur action aurait
répondu, tout bien considéré, aux intentions du Ministre Colbert : régénérer
les industries françaises et ranimer l'économie des régions ruinées par les
guerres. Cette activité devait prendre localement, par la suite, une importance
considérable et devenir une véritable industrie au cours du XIXème siècle.
Frère
Jean-Jacques, Supérieur des Ermites de St Pérégrin (1670-1676).
En 1669, soit un an avant la venue de
JEAN-JACQUES, on relève sur le premier registre les noms de deux vanniers :
- Acte de baptême. " Simon, fils de Jean
MONFILS vannier demeurant au Fayl et de Mongette DROUHIN sa femme, de
part et d'autre, a été baptisé ce jourd'huy neuvième jour avril 1669..."
- Acte mortuaire. "
Philibert POINSENOT vannier demeurant au Fayl, âgé d'environ soixante
ans est mort ce jourd'huy cinquième octobre mil six cent soixante et neuf et a
été inhumé ce même jour au cimetière de céans..." (voir document annexe
n°III)
Sur ces registres figurent les actes
mortuaires de plusieurs vanniers assez âgés qui, vraisemblablement exerçaient
le métier avant 1670. On remarque aussi en l674, l'acte de décès de Bernard
CAULLET marchand vannier âgé de 65 ans; assistait au convoi funèbre Claude LAGE
aussi marchand vannier.
Les vanniers du Fayl dans l'ordre de leur
apparition sur les registres paroissiaux de 1669 à 1700.
Date de l'apparition |
|
Date du décès |
Age au décès |
1669 |
MONFILS Jean |
? |
|
- |
POINSENOT Philibert |
1669 |
60 ans |
l67l |
MONFILS Jean (père du précèdent) |
1671 |
60 ans |
1673 |
VIARDOT Humbert |
1694 |
54 ans |
1674 |
CAULLET Bernard marchand vannier |
1674 |
65 ans |
- |
LAGE Claude marchand vannier |
? |
|
- |
DOUSSOT Pierre |
1714 |
72 ans |
1675 |
POINSENOT Nicolas |
? |
|
1676 |
GUIOT Claude |
1714 |
75 ans |
- |
POINSENOT Claude |
1676 |
? |
1677 |
AUBRIOT Nicolas |
1694 |
55 ans |
1678 |
ROUGETET Pierre |
? |
|
- |
COCAGNE Nicolas |
1695 |
47 ans |
- |
RUAULT François |
? |
|
1679 |
POINSENOT Martin |
1679 |
55 ans |
- |
MASSIN Jean-François |
? |
|
- |
CHALOCHET Antoine |
1720 |
80 ans |
1683 |
ROUGETET Jean |
? |
|
1684 |
MONFILS Jean (le jeune) |
? |
|
1686 |
CAULLET Mammès |
? |
|
1688 |
LAMBERT Pierre |
? |
|
1689 |
CAULLOT Claude |
? |
|
- |
ROUGETET Grégoire |
? |
|
1690 |
VIARDOT Hubert |
1748 |
? |
1692 |
GUYOT Hubert |
? |
|
- |
MONGIN Noël |
? |
|
1693 |
MONGIN Jean |
? |
|
1694 |
POINSENOT Estienne |
1731 |
63 ans |
1697 |
CHALOCHET François |
? |
|
1700 |
ROUGETET Barnabé |
vers 1730 |
|
Cette liste est probablement incomplète. Les
professions ne sont pas toujours mentionnées dans les actes religieux et les
deux terribles incendies qui détruisirent entièrement le bourg en 1668, puis en
1687, obligèrent une grande de partie de la population à déserter le Fayl et à
chercher refuge dans les villages des environs.
Dans le dernier quart du XVIIème siècle on
trouve aussi des vanniers:à Bussières et à Poinson. (1)
(1) FOURTIER Gilles.
LA VANNERIE A JOUR DE BUSSIERES-LES-BELMONT:Folklore de Champagne. N"95
octobre-novembre 1985
Après toutes les calamités qui ruinèrent
Fayl-Billot et la région au cours du XVIIème siècle, le relèvement de
l'économie locale et le redressement démographique prennent beaucoup de temps.
Les deux premières décennies du XVIIIème siècle sont encore jalonnées de
difficultés qui retardent toute évolution. Des hivers rigoureux; des années de
sécheresse en alternance avec des périodes pluvieuses, affectent l'agriculture.
Les récoltes sont souvent mauvaises et les céréales, bases de l'alimentation,
font l'objet de spéculations; leurs prix montent en période de soudure de façon
vertigineuse. Les disettes avec le cortège d'épidémies aggravent encore la
situation.
Les disparités sociales sont très marquées.
Les " petites gens " et principalement les " nouveaux venus
" au Fayl (?) n'ont pour subsister que leur salaire journalier quand ils
trouvent du travail et les aumônes des riches. Durant ces périodes difficiles,
les petits artisans, les tourneurs sur bois, 3 sabotiers, les tisserands en
toile, les vanniers, etc. n'ont pas un sort enviable.
Au XVIIIème siècle les ressources naturelles
en matières premières (végétaux sauvages) s'avèrent très vite insuffisantes.
L'essor de la vannerie est donc lié au développement de la culture de l'osier.
Peu de vanniers possèdent une " SAUSSAIE " et la plupart doivent
s'adresser aux propriétaires terriens (nous l'imaginons) soit pour leur louer
une oseraie, soit pour leur ache ter la matière première dont ils ont besoin
pour travailler. Or, à cette époque toutes les terres labourables sont encore
réservées aux cultures vivrières et en priorité aux céréales. Les prairies peu
importantes fournissent difficilement le fourrage au bétail; la foret communale
supplée heureusement à cette insuffisance. La terre est très chère et seuls
quelques propriétaires terriens peuvent créer des "SAUSSEES". L'osier
est planté généralement en têtards sur des sols pauvres difficiles à travailler
: marécages, terres fortes très argileuses.
Dans la seconde moitié du siècle la situation
s'améliore sensiblement Les petits paysans, les artisans, peuvent peu à peu
acquérir un toit et un lopin de terre. Le gouvernement royal influencé par les
" physiocrates " encourage l'agriculture et décide d'exonérer des
dîmes et de toutes les redevances les terres nouvellement défrichées. Ces
dispositions exceptionnelles incitent quelques propriétaires à mettre en valeur
des sols très humides, à les drainer et les planter en osier (la Papeterie).
Malheureusement, les encouragements au de défrichement aboutissent parfois à
des entreprises inconsidérées. C'est ainsi que des propriétaires fonciers
n'hésitent pas à déboiser à outrance pour augmenter la superficie de leurs
terres cultivables sachant que les terrains défrichés n seront pas soumis à
l'impôt. Tant et si bien qu'au Fayl, à la veille de la Révolution, presque tous
les bois privés ont disparu ; il ne reste que le Bois des Nonnes appartenant à
l'Abbaye de Belmont, le Bois Banal propriété du Seigneur Fayl et la forêt
communale " surexploitée ".
A partir de 1730-1740 le commerce prend de
l'extension. Les chemins, en très mauvais état après la guerre de
Franche-Comté, ont été réparés petit à petit. Ce travail a exigé de gros
efforts financiers et la mise en application de l'ancien système des
réquisitions et des corvées (prestations en nature imposées aux contribuables).
Au milieu du siècle on construit les grandes "routes royales" sous la
direction des ingénieurs des Ponts et Chaussées. Un service public des Ponts et Chaussées est créé en 1716
et une école d'ingénieurs est ouverte en 1747.
Langres est située au carrefour de trois
routes très empruntées : celle de Paris à Baie qui passe à Fayl-Billot, celle
de Chalon-sur-Saône à Sarreguemines via Dijon et Montigny-le-Roi et celle de
Saint-Dizier à Lausanne par Gray et Besançon. Beaucoup de marchandises sont
dirigées vers Gray port important sur la Saône, point de rencontre entre le
Nord, l'Est et le Midi de la France. Ce rayonnement des routes et la proximité
de la Saône facilitent les échanges et favorisent l'implantation et le
développement de quelques industries dont la vannerie.
Au XVIIIème siècle on trouve au Fayl beaucoup
de négociants: marchands tanneurs, marchands de fer, marchands de blé,
marchands épiciers marchands de drap et de toiles, etc. Un certain nombre de
marchands ambulants vendent les produits régionaux : toile de chanvre, bois
tournée chaises paillées vanneries et quelques articles de boissellerie
provenant des Vosges et du Jura. Vers la fin du siècle quelques uns de ces
commerçants ambulants prennent la dénomination distincte de "
MARCHANDS-VANNIERS ".
Les fabrications se diversifient un peu. Les
" MANDELIERS " et les " FAISEURS DE VANNERIES A JOUR " sont
de plus en plus nombreux au sein de la communauté vannière du Fayl. La grande
difficulté pour les vanniers réside toujours dans l'approvisionnement en osier.
A la fin du XVIIIème siècle on recense sur le
territoire du Fayl 94 " SAUSSAIES " représentant une superficie
totale de 15,5 hectares (34 arpents). La plus grande parcelle dépasse 4
hectares; elle appartient au sieur MUTEL propriétaire de la ferme de la
Papeterie. Quatre parcelles approchent les 50 ares et quarante sept mesurent
moins de 9 ares; les plus petites atteignent à peine un are.
Les vanniers en chiffres de 1701 à 1790
(d'après les registres paroissiaux)
|
Périodes |
|
|
1701 à 1730 |
1731 à 1760 |
1761 à 1790 |
|
Evaluation du nombre de vanniers en activité
au cours de chacune des trois périodes comprises entre 1701 et 1790. |
15 à 25 |
25 à 40 |
35 à 45 |
Marchands de vannerie et autres produits
régionaux. |
? |
3 |
7 |
XIXème siècle. LE GRAND ESSOR.
Dans la région de Fayl-Billot le XIXème siècle
est considéré - avec raison - comme le " grand siècle de la vannerie
". A partir de 1860 la culture de l'osier et la vannerie se développent
dans tout le canton de Fayl-Billot et dans de nombreux villages des cantons de
Laferte-sur-Amance, de Varennes, de Neuilly-l'Evêque, de Langres, de Longeau,
de Prauthoy et de Vitrey en Haute-Saône. L'élan est considérable et à la fin du
siècle plusieurs milliers de personnes vivent de l'osier et de la vannerie.
Cette industrie régionale a pour épicentre le triangle : Fayl-Billot,
Bussières-lès-Belmont, Poinson-lès-Fayl.
Jusque vers 1830 l'activité stagne, rien ne
laisse encore prévoir un tel essor. Aux guerres ruineuses de la Révolution et
de l'Empire suivent les années sombres de 1815 à 1818. La présence des armées
d'occupation sur notre sol, les disettes et les épidémies (choléra) anéantissent
tous les efforts de redressement. L'argent est rare, le commerce vit au ralenti
et le chômage touche le monde ouvrier, principalement les tourneurs, les
chaisiers et les vanniers. Pour occuper les chômeurs la municipalité ouvre un
" atelier de charité " et entreprend avec cette main d'œuvre
occasionnelle, la réparation des rues du village et des chemins communaux.
Dans le second tiers du siècle se dessine
enfin une reprise des affaires, mais la crise économique et politique de
1847-1848 bloque encore le processus de relèvement du pays et engendre une fois
de plus le chômage. Les principales victimes de ces événements sont toujours
les mêmes personnes. On rouvre " l'atelier de charité " et on donne
aux chômeurs des tâches diverses; on entreprend l'aménagement de la promenade
du Bois Banal.
Ces difficultés surmontées, la vie reprend peu
à peu un cours normal jusqu'à la guerre franco-allemande de 1870-1871. Les
mauvaises récoltes des années 1872-1873, la présence des armées ennemies,
l'indemnité à payer aux vainqueurs, enfin la production mal maîtrisée de la
métallurgie haut-marnaise, déclenchent une nouvelle crise économique qui
affecte particulièrement notre département. Au XIXème siècle, quand
l'agriculture et la métallurgie haut-marnaises sont grippées, tout le monde
tousse !
Malgré ces perturbations politico-économiques
répétées, l'industrie vannière progresse régulièrement et fait un bond
prodigieux au cours des dernières décennies du siècle. En 1836 les vanniers du
Fayl sont une soixantaine; vers l860 on en dénombre 140 et près de 300 en 1891.
A cette date la courbe ascendante est à son apogée; cinq ans plus tard, an
1896, s'amorce déjà un fléchissement que les deux guerres mondiales et la
grande révolution technologique du XXème siècle ne feront qu'accentuer.
Cette évolution spectaculaire de la vannerie
haut-marnaise au XIXème siècle est due à la conjonction de trois facteurs
favorables :
-La création de nouveaux
réseaux de communication.
-Le morcellement des terres
-La présence d'une
main-d'œuvre disponible en milieu rural.
Les communications. La réfection des
grandes routes (400 km. en Haute-Marne au milieu du XIXème siècle), la
construction de 300 km. de routes départementales et la mise en service de
1.600 km. de chemins vicinaux,(l) permettent aux marchands ambulants et aux
rouliers de mieux atteindre les villages et les villes de la région et de
pénétrer plus avant dans les provinces voisines. La plupart des marchands
ambulants du Fayl descendent jusqu'à Lyon. Leur itinéraire passe par Dijon et
les villes situées sur la Saône. Quelques uns empruntent le couloir rhodanien,
la grande voie naturelle des courants d'échanges Nord-Sud.
(1) Dictionnaire de la
Haute-Marne - Emile JOLIBOIS - l86l.
L'extension du réseau routier constitue un
réel progrès, certes, mais c'est surtout la création des grandes lignes de
chemin de fer qui fait prospérer les industries régionales. La ligne de Paris à
Bale et la ligne de Balesme à Gray par Chalindrey sont inaugurées en 1858. La
ligne de Chalindrey à Is-sur-Tille et Dijon est terminée en 1877 et celle de
Chalindrey à Neufchâteau et Nancy en 1884.
Dès lors plusieurs gares s'ouvrent au commerce
de l'osier et de la vannerie :
Des échanges se font entre marchands de
vannerie haut-marnais et marchands de vannerie de THIERACHE (Aisne) et de
LORRAINE (Meurthe-et-Moselle). Grâce au chemin de fer la vannerie haut-marnaise
trouve de nouveaux débouchés. Elle subit en revanche la concurrence étrangère;
les courants commerciaux ne sont pas à sens unique !
La progression des demandes de vanneries a des
conséquences heureuses pour les vanniers; au cours de la période 1860-1880 elle
occasionne un relèvement de leurs gains de l'ordre de 30 à 50 % et même de 100
% selon les articles.
Le morcellement de la propriété. Lorsque la
Révolution de 1789 éclate les 4/5 èmes des contribuables du Fayl sont de très
petits propriétaires; leur nombre s'élève à plus de 400. Cette catégorie
d'assujettis à l'impôt comprend : les laboureurs, les petits paysans et la
majeur partie des artisans. Le paysan est très attaché à la terre qu'il possède
et il se fait un devoir de la transmettre à ses descendants, même au prix d'un
morcellement excessif.
Pendant la Révolution les domaines mis en
vente sont le plus souvent achetés par des spéculateurs qui les revendent
ensuite au détail par petites parcelles, en réalisant au passage de
substantiels profits. Dans la seconde moitié du XIXème siècle le morcellement
s'accroît encore, provoqué par l'exode rural et les partages successoraux qui
occasionnent souvent des ventes. Ce morcellement de la terre retarde la
modernisation de l'agriculture; en revanche il permet aux laboureurs et aux
petits agriculteurs d'agrandir leur
Pour les " petites gens " c'est la
garantie d'une relative indépendance, la façon de se procurer une partie de
leurs moyens d'existence. Une activité d'appoint agricole ou artisanale apporte
un complément en " espèces sonnantes et trébuchantes ". La culture de
l'osier et la vannerie permettent donc aux petits agriculteurs et à beaucoup de
manœuvriers de rester au pays plutôt que de partir pour la ville ou de
s'engager sur les grands chantiers du siècle ; construction des routes et
des chemins de fer, travaux d'urbanisation, etc.
A la fin du XIXème siècle la modernisation
(encore timide) de l'agriculture et les mutations de culture , recul des
labours au profit des herbages, amorcent un phénomène de remembrement. Les prix
des terres montent en flèche au Fayl et les vanniers qui envisagent de planter
de l'osier sont contraints, parfois de rechercher du terrain sur le territoire
d'une commune voisine, (prairies de Rosoy, Rougeux, Hortes, Charmoy, Bize, etc.)
La superficie des oseraies du Fayl qui était
de 37 hectares en 1836 atteint une soixantaine d'hectares vers l860 et 150
hectares en 1892. A la fin du siècle presque tous les vanniers possèdent une
oseraie.
La main-d'œuvre vannière. Dans le
dernier tiers du XIXème siècle beaucoup de vanniers sont issus du monde
agricole et du milieu artisanal. On trouve des petits agriculteurs qui
cultivent un peu d'osier et font de la vannerie pendant l'hiver, des
manouvriers qui ont embrassé la profession avec l'espoir d'y trouver le moyen
d'améliorer leurs conditions de vie, enfin quelques fils de tourneurs sur bois
et de tisserands, deux métiers sur la voie du déclin.
Les fabrications. Durant le dernier
quart du XIXème la production doit se diversifier afin de répondre à de nouveau
débouchés. Aux fabrications traditionnelles destinées à l'agriculture et à des
usages domestiques (vans, cabas, hottes, cribles, cages à volatiles, paniers à
fromages, corbeilles à lessives, berceaux, etc.) viennent s'ajouter
progressivement d'autres vanneries utilitaires : bannetons à "miche "
et à " couronne " pour la boulangerie, petites mannes pour la
pâtisserie, paniers " crocanes " pour la boucherie et la charcuterie,
paniers, corbeilles et mannes diverses tressées " en plein " ou à
" jour " pour la blanchisserie, la teinturerie, la passementerie,
l'épicerie, le commerce des vins, articles de bureau et de table, fauteuils et
mannequins d'osier, etc. La liste des articles de vannerie s'allonge
régulièrement et les demandes deviennent de plus en plus importantes. Les
vanniers ont tendance à se spécialiser davantage afin d'augmenter leur
production et d'améliorer leurs gains. On voit certains vanniers fabriquer
toute leur vie le même genre de panier et parfois dans la même taille. Rares
sont les vanniers polyvalents qui maîtrisent toutes les techniques du métier.
La spécialisation repose, en principe, sur les
techniques de travail et aussi sur la forme des objets. Du point de vue de la
technique on distingue quatre genres de vanneries :
- La vannerie "frappée" caractérisée
par une " clôture " tassée avec pour support une " armature
" rigide faite de lamelles de chêne refendu; exemple : le van, les cabas à
pâte et à grain, certaines hottes, les seaux garnis intérieurement d'une toile
imperméabilisée.
- La vannerie ordinaire " en plein "
présentant un tressage serré sans espaces vides; la vannerie " taquée
" comme on l'appelle au Fayl; exemple ; les corbeilles à lessive, les
paniers " crocanes ", les bannetons, etc.
- La vannerie " en clair " ou
vannerie " à jour " reconnaissable à son treillage léger présentant
des vides; exemple : les cages à oiseaux, les clayettes, les
"chazieres" à fromages, les nasses, les paniers à " claire-voie
", etc.
Cette dernière vannerie est une spécialité de la THIERACHE, elle n'est
pas pratiquée en Haute-Marne.
A la fin du XIXeme siècle, presque tous les
vanniers du Fayl sont spécialisés dans la vannerie " en plein ",
tandis que les vanniers de Bussières fabriquent principalement des vanneries
" à jour ".
Cette spécialisation extrême présente un
inconvénient majeur : elle réduit considérablement les facultés d'adaptation
des vanniers à l'évolution des marchés.
Vers 1880 s'amorce une nouvelle crise de la
vannerie; elle a pour origines :
-L'entrée en France de vanneries étrangères
-Le remplacement de certaines vanneries par
des articles de boissellerie et de quincaillerie
-Une évolution du mode de vie.
Le van est éclipsé en partie par le tarare
(van mécanique) il devient un simple accessoire; les boisseaux de bois se
substituent aux cabas à grain; le vigneron remplace sa hotte d'osier par une
hotte de bois ou de métal; l'arrêt de la cuisson familiale du pain conduit à
l'abandon des cabas à pâte, etc. Les fabricants de vanneries frappées sont
les plus atteints par la crise.
Les débouchés de la vannerie évoluent. Les
vanniers de la région de Fayl-Billot sont conscients que la Révolution
industrielle en cours va engendrer de profonds bouleversements. Pour lutter
contre la concurrence étrangère et pour pouvoir répondre à de nouvelles
demandes de vannerie, ils jugent indispensable d'élargir leur production, de la
diversifier encore plus, et surtout de compléter leurs connaissances
professionnelles dans les deux domaines complémentaires de l'osiériculture et
de la vannerie.
Le Comice agricole du canton de Fayl-Billot
s'inquiète, lui aussi, de l'avenir de l'osiériculture et de la vannerie, deux
activités qui tiennent une place importante dans la vie économique et sociale
de la région. Au cours de sa séance du 7 décembre 1884 il décide, sur la
proposition de son Président Monsieur GOUGET et de son secrétaire Monsieur
BOTTOT (futur maire de Fayl-Billot), de s'associer aux municipalités du canton
pour demander aux pouvoirs publics la création en France, d'écoles
professionnelles de vannerie semblables à celles qui existent en Hollande et en
Autriche et que l'on projette d'ouvrir en Allemagne. Ces écoles auraient pour
mission de donner à des jeunes gens toutes les connaissances techniques et
pratiques se rapportant à la culture de l'osier et à la vannerie.
Ce souhait, bien accueilli en général, ne sera
cependant exaucé que vingt ans plus tard.
Années |
1804 1805 |
1836 |
1841 |
1846 |
1851 |
1856 |
1861 |
1866 |
1872 |
1876 |
1881 |
1886 |
1891 |
1896 |
Vanniers |
50/55 |
68 |
102 |
100 |
147 |
129 |
134 |
140 |
172 |
175 |
208 |
226 |
289 |
268 |
marchands |
7 |
4 |
4 |
8 |
8 |
6 |
7 |
6 |
7 |
7 |
6 |
6 |
7 |
7 |
Evolution comparative de la population
agricole au XIXeme siècle.(enquêtes agricoles)
Années |
1836 |
1861 |
1896 |
Laboureurs |
29 |
|
|
Cultivateurs |
26 |
73 |
89 |
Manouvriers journaliers |
83 |
149 |
45 |